Quand la COVID-19 stimule les entrepreneurs

TROIS-RIVIÈRES — En tentant d’en apprendre davantage sur les conséquences liées aux bouleversements provoqués par la COVID-19 sur la gestion des PME et la santé psychologique des entrepreneurs, les chercheurs Étienne St-Jean, de l’École de gestion de l’UQTR et Maripier Tremblay, de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval, ont découvert qu’en général, les répondants de leur échantillon de 636 personnes en affaires ont affirmé avoir su tirer avantage de cette période sombre.


«Bien qu’un peu plus de 50 % des entrepreneurs sondés ont subi des baisses de liquidités et ont dû s’endetter, ils se disent plutôt optimistes face au développement de leur entreprise dans la prochaine année. Et 64,7 % considèrent que la pandémie amène surtout des opportunités», explique Étienne St-Jean, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la carrière entrepreneuriale et membre de l’Institut de recherche sur les PME.

À ce chapitre, 75 % des répondants ont indiqué que la pandémie a été pour eux l’occasion de développer une nouvelle clientèle, créer de nouveaux produits et même de s’approvisionner chez de nouveaux fournisseurs. En contrepartie, la situation exceptionnelle aura évidemment provoqué une baisse des liquidités et une augmentation de l’endettement.

Un total de 84 % des entrepreneurs consultés estime que les changements liés à la pandémie vont perdurer. Voilà un constat qui explique peut-être les réactions des entrepreneurs dans le but de tirer le meilleur de cette crise.

«Les résultats ne m’ont pas surpris parce que, effectivement, on voit beaucoup d’entrepreneurs qui ont vu des opportunités pour se développer liées à la pandémie», précise en entrevue M. Saint-Jean.

Celui-ci fait remarquer que si 64,7 % des répondants voient des opportunités d’affaires, «ça veut dire aussi que la balance n’en voit pas nécessairement».

«Donc, ça veut dire qu’il y a quand même une assez bonne proportion de gens qui voient soit peu ou pas d’opportunités liées à la pandémie, dont certains évidemment qui ont vraiment eu des conséquences assez importantes, jusqu’à la fermeture», souligne le professeur.

«C’est un éventail de conséquences qu’on peut observer, mais en moyenne, l’échantillon qu’on a nous laisse penser que de manière un peu majoritaire, les gens voient des opportunités», renchérit-il.

Mais en contrepartie, cela ne se fait pas sans impacts. «Ces changements forcés imposent à l’entrepreneur de mettre les bouchées doubles. On peut y déceler l’essoufflement de plusieurs. Il y aurait 39,2 % de notre échantillon qui serait considéré comme étant épuisé professionnellement. À long terme, cette situation pourrait devenir inquiétante», explique Maripier Tremblay, titulaire de la Chaire de leadership en enseignement sur le développement de l’esprit d’entreprendre et de l’entrepreneuriat.

La santé de l’entrepreneur est probablement le plus important capital immatériel pour assurer sa réussite, estiment les auteurs de l’étude. Pour demeurer en santé, il devient impératif de prendre soin d’eux en s’accordant du temps pour garder un équilibre de vie et de se tourner vers les ressources disponibles pour les aider à faire face à leurs défis. L’étude complète comporte d’ailleurs une section avec des conseils sur la gestion du stress.

«Les gens ont dû s’adapter au niveau des mesures de la santé publique, donc, ils ont dû réorganiser une partie de leur processus d’affaires, leur façon d’entrer en contact avec la clientèle. Il y a eu beaucoup de télétravail. C’est sûr pour les entreprises, ça a été beaucoup de travail pour s’adapter aux nouvelles mesures, parfois à une baisse de clientèle, ou au contraire, à des nouvelles commandes qu’ils n’avaient pas prévues ou des opportunités justement à saisir», indique M. St-Jean.

À son avis, «le problème, c’est que comme ce n’est pas voulu, comme c’est subit et c’est quand même assez radical pour certains, c’est sûr que l’entrepreneur n’a pas eu le choix de s’adapter».

«Ce n’est pas comme s’il avait fait un plan avec des étapes. Ils ont tous été pris de court et ils ont dû s’adapter. C’est sûr que les gens qui ont dû mettre les bouchées doubles et qui n’avaient pas nécessairement l’énergie tellement grande au moment où c’est arrivé, c’est sûr que ces gens-là se retroussent les manches et se disent : on n’a pas le choix d’y aller. Mais j’ai l’impression que ceux qui étaient un peu plus fragiles au début de la pandémie, c’est ceux qu’on voit maintenant qui sont beaucoup plus avec des signaux d’épuisement, qui mentionnent qu’ils sont beaucoup plus stressés, qu’ils sont anxieux face à l’avenir», poursuit-il.

Selon lui, «c’est un peu comme ça même pour les citoyens en général». «La crise n’a pas frappé tout le monde de la même manière, il y en a qui ont réussi à bien s’en tirer, qui sont bien entourés, qui avaient assez d’énergie pour passer au travers, mais il y en a d’autres qu’au niveau de leur santé mentale, ça a décliné. C’est pareil pour les entrepreneurs», décrit M. St-Jean.

«Les prochaines étapes seront importantes, car nous pourrons suivre la situation pendant un an, aux quatre mois. Nous pourrons voir si la situation s’améliore ou se détériore pour ce groupe. Surtout, nous pourrons identifier les meilleures stratégies des entrepreneurs pour maintenir le cap et l’équilibre psychologique dans les moments les plus difficiles», ont conclu les deux professeurs.