Plus d’une centaine de manifestants se sont réunis sous un ciel gris au pied du mont Royal en matinée, pour ensuite se mettre en marche vers le bureau du premier ministre François Legault à Montréal. «Une promesse, c’est une promesse» et «Le Québec, c’est nous aussi», pouvait-on lire sur les pancartes des participants, qui s’étaient pratiquement tous couvert le visage.
Le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) permet à des étudiants internationaux et à des travailleurs étrangers temporaires déjà établis dans la province d’obtenir rapidement un certificat de sélection du Québec, en vue d’accéder à la résidence permanente.
Une nouvelle mouture du programme a été présentée à la fin du mois de mai, après que sa réforme eut été mise sur la glace en raison d’un cafouillage qui avait forcé le gouvernement de François Legault à présenter ses excuses à l’automne dernier.
La réforme prévoit des règles plus astreignantes sur le plan de l’expérience de travail requise et de la maîtrise du français. Le délai de traitement des demandes serait pour sa part considérablement prolongé.
En apprenant que son diplôme ne suffirait plus pour la qualifier, Carla Trigoso a vu le sol se dérober sous ses pieds. Les derniers jours ont été les plus difficiles de sa vie, dit-elle, car sa famille s’est endettée de 80 000 $ pour lui permettre de terminer son baccalauréat en sociologie à l’Université McGill.
Celle qui vit depuis quatre ans en sol québécois craint que ses chances de se trouver un travail soient bien minces en pleine crise sanitaire. Sans compter que bien des emplois exigent la résidence permanente, souligne la jeune femme d’origine péruvienne.
«Nous ne sommes pas seulement des numéros de dossiers et de permis», a-t-elle lancé, en invitant la ministre Girault à faire preuve de compassion.
La députée libérale Kathleen Weil estime que le PEQ, qu’elle avait elle-même présenté en tant que ministre de l’Immigration sous le gouvernement de Jean Charest, faisait pourtant «l’envie de beaucoup de juridictions».
«Nous, on avait créé cette voie rapide d’immigration parce qu’on voulait retenir ces talents, fait-elle valoir. On est en compétition avec le monde pour les attirer.»
«Moi, ça me déchire les modifications qui sont apportées. Ce n’est pas une réforme. Une réforme, c’est un concept progressiste. On régresse avec cette réforme. On ne regarde pas l’être humain avec tout son potentiel», a-t-elle ajouté, aux côtés d’une délégation d’élus libéraux présents à la manifestation.
Des députés de Québec solidaire se sont également joints à la marche de samedi. Selon le co-porte-parole du parti Gabriel Nadeau-Dubois, cette révision du PEQ est une «solution à un problème qui n’existe pas», une manière pour la Coalition avenir Québec de remplir sa promesse électorale de réduire les seuils d’immigration.
«C’est le programme qui permet le plus facilement une intégration réussie, notamment parce qu’il permet aux gens qui sont déjà au Québec d’y rester, expose-t-il. Mais à partir du moment où la CAQ se met à obséder sur ce chiffre-là, ils sont obligés de fermer le plus de portes possible.»
Québec solidaire dénonce notamment l’exclusion des travailleurs moins qualifiés - à qui l’on doit souvent une fière chandelle pour les services essentiels rendus dans les derniers mois, rappelle Andrés Fontecilla.
«Les camionneurs ont amené les marchandises qui ont nourri le Québec pendant la pandémie, mais avec la nouvelle réforme, ces gens-là ne pourront jamais aspirer à demeurer au pays de façon permanente», a illustré le porte-parole solidaire en matière d’immigration.
C’est notamment le cas de Donalee Martinez, un camionneur d’origine philippine qui parcourt de longues distances depuis plus de deux ans dans l’espoir de pouvoir profiter du PEQ. «Assez bons pour travailler, assez bons pour rester», a-t-il lancé sur un ton indigné, devant la petite foule réunie au centre-ville de la métropole.
Des rassemblements similaires étaient également prévus en après-midi à Québec, Sherbrooke et Rouyn-Noranda, entre autres, sous l’initiative de centrales syndicales, d’associations étudiantes ainsi que de groupes de défense des droits des migrants.
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«Comme des marchandises»
Marie-Thérèse Chicha, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, s’explique mal pourquoi le gouvernement réorganise un «programme tout à fait modèle», dont le succès en matière d’intégration n’avait plus à être démontré.
«Ce qui ressort en fait, c’est l’objectif de ralentir, contenir ou limiter l’immigration par tous les moyens», avance celle qui est également titulaire de la Chaire en relations ethniques de l’UdeM.
À force de leur mettre des bâtons dans les roues, le Québec risque de rebuter pour de bon de nombreux étudiants et travailleurs, las d’être traités «comme des marchandises», prévient la professeure, et se placer «dans une situation moins avantageuse» pra rapport aux autres provinces canadiennes.
«Ces immigrants ont plein de bonne volonté; ils ont fait des sacrifices financiers et personnels importants pour venir ici. Et on les traite comme si on peut les renvoyer chez eux quand on veut, ne pas leur accorder le droit de rester de façon arbitraire», déplore-t-elle.
Une nouvelle ministre
Au début de cette saga, en novembre, le gouvernement comptait redéfinir de manière rétroactive les conditions d’admissibilité au programme, évoquant le besoin d’arrimer les candidatures aux besoins économiques spécifiques du Québec. Sa liste de domaines privilégiés comportait toutefois de nombreuses aberrations et menaçait de renvoyer des centaines d’étudiants et travailleurs étrangers.
Devant l’indignation générale, le premier ministre François Legault était lui-même intervenu pour suspendre la démarche du ministre de l’Immigration de l’époque, Simon Jolin-Barrette.
Le gouvernement a depuis renoncé à sa liste controversée, ouvrant le programme à tous les domaines de formation et d’emplois, mais exige dorénavant que les étudiants étrangers - en plus de décrocher leur diplôme - acquièrent d’un à deux ans d’expérience de travail à temps plein.
En ce qui concerne les travailleurs étrangers, cette exigence passe de un à trois ans, et ne peut être remplie que dans certains domaines.
Pour certains, le remaniement ministériel laisse toutefois espérer un revirement de dernière minute.
Les députés du Parti libéral et de Québec solidaire présents samedi souhaitent que Nadine Girault, qui est aussi ministre des Relations internationales, fasse preuve d’une plus grande sensibilité à l’égard de la réalité humaine de l’immigration que son prédécesseur.
Des centaines de lettres récoltées lors des cinq dernières semaines de mobilisation doivent bientôt lui être remises à cet effet.
La ministre Nadine Girault ayant pris la barre du ministère de l’Immigration plus tôt cette semaine, son cabinet indique qu’il lui faudra un certain temps pour analyser les commentaires reçus et s’approprier la réforme, dont l’adoption est prévue au cours des prochaines semaines.