«Dans mon livre à moi, c’était impossible de perdre», confie M. Guertin. «Je ne savais pas combien d’argent j’allais faire, mais jamais je n’avais prévu une perte.»
Le 10 juin, le contrôleur de PricewaterhouseCoopers, responsable du processus de restructuration en cours, déposait un rapport qui confirmait que huit groupes avaient soumis des lettres d’intention d’intérêt pour la reprise des activités de Nemaska Lithium. Leur identité n’est pas connue, mais ils peuvent produire une offre formelle le 30 juin au plus tard.
Ces propositions incluront-elles une participation des petits investisseurs dans le montage financier, eux qui ont soutenu ce projet minier depuis ses débuts? Impossible de le savoir pour le moment, mais ces participants de la première heure s’organisent pour ne pas être oubliés.
Le Regroupement des actionnaires de Nemaska (RAN) regroupe 2700 membres sur Facebook. Pas moins de 850 d’entre eux ont accepté de déposer 100 $ chacun dans un compte en fidéicommis. Cet argent pourrait servir à défrayer des honoraires d’avocat si jamais le choix du conseil d’administration de Nemaska Lithium ne répondait pas à leurs attentes.
PwC devrait faire entériner la décision par un juge autour du 20 juillet. La cible de la transaction est toujours établie à la mi-août.
«Les actionnaires sont nerveux, préoccupés», observe Alain Clavet, président du RAN. «Huit offres sérieuses sont en compétition, ce qui est une bonne nouvelle. Mais présentement, rien ne nous assure qu’il y aura quelque chose pour les actionnaires.»
Le président-directeur général d’Investissement Québec, Guy Leblanc, semblait très encouragé par la progression des négociations pour la relance de Nemaska Lithium, dans une entrevue publiée dans La Presse + jeudi. Il n’a évidemment donné aucun indice sur la participation des petits actionnaires dans cette nouvelle mouture.
«On sent que Nemaska est important, mais comment et avec qui?», soulève M. Clavet. «Le dossier du Québec n’est pas très bon, depuis quelques années. Nous perdons nos sièges sociaux et les investisseurs perdent leur argent.»
Confiance
M. Guertin investit en bourse depuis une quinzaine d’années. Avec l’électrification des véhicules, il voyait poindre une vague aussi prometteuse que celle des entreprises numériques, au début du 21e siècle.
«Quand je vais au casino, je ne suis pas choqué de perdre de l’argent», image-t-il. «Mais si le croupier se pousse avec mes jetons, j’ai un problème...»
Ces investisseurs sont particulièrement frustrés par le climat de confiance que Nemaska Lithium et le gouvernement du Québec ont créé, au fil des mois, pour inciter les gens à encourager ce projet.
«Nemaska a toujours donné un portrait assez rose de la situation», rappelle M. Clavet. «Ils ont convaincu 25 000 petits actionnaires à mettre leur fonds de retraite ou leurs économies là-dedans. Pour reprendre l’expression de François Legault, ce serait gênant, après les discours sur l’électrification des transports et les batteries québécoises, que ça se fasse sur notre dos.»
«Ce serait très décevant qu’on accepte une offre où les Québécois ne seraient pas partie prenante. Ce serait un manque de leadership grave de MM. Fitzgibbon (ministre de l’Économie) et Legault.»
Claude Domaine, un Shawiniganais qui travaille dans la construction, détient plus de 183 000 actions de Nemaska Lithium, acquises au début du projet.
«J’y ai toujours cru», explique-t-il. «Je me disais que ça ferait grossir notre ville. Le lithium, c’est l’avenir. Ça pouvait amener d’autres industries, comme des fabricants de batteries. En plus, c’était un bel investissement régional.»
Isaac Tremblay possède environ 90 000 actions de Nemaska Lithium. Le cofondateur de la microbrasserie Le Trou du diable estime que le gouvernement du Québec doit sentir un peu plus de chaleur de la part des investisseurs dans le dernier droit qui se dessine.
«Pourquoi laisser cette filière à des intérêts étrangers?», se demande M. Tremblay. «Pire, pourquoi faire financer une usine par de petits investisseurs québécois et après, vendre tout ça à rabais, au marché aux puces, à des compagnies étrangères? Surtout quand le gouvernement dit que la filière est importante, qu’il ne laissera pas tomber les investisseurs. C’est un peu choquant.»
«On espère qu’Investissement Québec se souciera des autres investisseurs qui, comme lui, ont cru au projet», poursuit M. Tremblay. «IQ a la chance d’être assis à la table des négociations, contrairement à nous. On espère qu’ils vont penser au peuple qui paye leurs bureaux!»
Nemaska Lithium devrait avoir une suite, mais la confiance des épargnants risque de s’effriter s’ils sont, une fois de plus, abandonnés sur l’accotement.
«Nous sommes partis les premiers avec ce projet», insiste M. Domaine. «On aimerait suivre!»
«On n’est pas tannés, au Québec, de vendre nos ressources pour des emplois?», questionne M. Tremblay. «Pour une fois, nous aurions une filière qui pourrait rapporter à ceux qui y ont cru depuis le début.»