R : Depuis le début de la pandémie, les médecins voient de nombreuses manifestations cliniques de la COVID-19 qui dépassent largement le domaine respiratoire. Parmi elles, les plus déroutantes sont liées à l’apparition de caillots dans le système sanguin.
Chez certains, cela se manifeste par des marques bleues sur les extrémités des membres, semblables à des engelures. Pour d’autres, par des embolies pulmonaires. Les cas les plus dramatiques se concluent par des infarctus, ou des accidents vasculaires cérébraux.
«Ces caillots sont très inhabituels, explique le Dr Jean-Claude Tardif, directeur du centre de recherche de l’Institut de Cardiologie de Montréal et professeur de médecine à l’Université de Montréal. Habituellement, un caillot sera spécifique à une région du corps ou à un organe. Avec la COVID-19, la situation est généralisée, avec de multiples caillots dans plusieurs vaisseaux, des artères jusqu’aux capillaires. Ce problème frappe aussi tous les groupes d’âge, alors qu’on le voit normalement chez des personnes plus âgées.»
La variabilité de l’état des patients touchés par ces complications surprend aussi les médecins, car des caillots ont été observés autant chez des personnes déjà sous respirateurs que chez des personnes sans symptômes apparents.
«Ces caillots apparaissent chez environ 25% des patients gravement touchés par la COVID-19, explique Michelle Sholzberg, médecin hématologue à l’hôpital St-Michaels de Toronto. Mais se limiter aux cas graves peut être trompeur, car jusqu’à 70% des patients qui entrent à l’hôpital avec la maladie ont des résultats anormaux à leurs analyses sanguines. Ils n’ont pas de caillots comme tels, mais des niveaux très élevés de D-dimères, des protéines qui apparaissent dans le sang quand un caillot a été dégradé.»
Causes floues
Jusqu’à maintenant, plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces complications. Dans les vaisseaux sanguins, les cellules formant leur paroi interne, l’endothélium, possèdent à leur surface la protéine ACE2, la même qui permet au coronavirus de pénétrer dans les cellules pulmonaires.
«Lorsque le virus se promène dans le sang et tue les cellules de l’endothélium, cela va exposer la membrane basale qui se trouve juste en dessous, membrane avec laquelle peuvent réagir les plaquettes et autres facteurs de coagulation pour empêcher les pertes de sang, explique Georges-Étienne Rivard, hémato-oncologue au CHU Ste-Justine. Plus cet endothélium est exposé, plus on verra de coagulation.»
Une autre hypothèse concerne le système immunitaire lui-même. «La mort cellulaire va causer de l’inflammation, poursuit le Dr Rivard. Plusieurs facteurs inflammatoires jouent aussi un rôle dans la coagulation sanguine. De plus, certains globules blancs nommés neutrophiles peuvent produire une substance très collante, des “Net” (neutrophil extracellular trap), qui sert à piéger les pathogènes, mais qui peut aussi favoriser la coagulation. Ce sont des réactions normales, mais l’échelle à laquelle on les retrouve dans cette maladie est inhabituelle.»
Cette complication pourrait aussi s’expliquer par plusieurs autres raisons encore inconnues, ou une combinaison de facteurs. «Certaines personnes pourraient avoir des prédispositions génétiques favorisant la coagulation, ou les réactions inflammatoires, ajoute la Dre Sholzberg. Nous aimerions être en mesure d’identifier les personnes plus à risque, mais cette complication n’est pas aussi prévisible que nous le souhaiterions.»
La recherche dans l’urgence
Les prévalences ainsi que les risques de cette complication sont tels que certains médecins ont commencé à employer de plus hautes doses d’anticoagulants, tels que l’héparine, chez les patients atteints de la COVID-19.
Donner de l’héparine à un patient admis aux soins intensifs est une procédure standard pour éviter les problèmes liés à l’alitement. Certains médecins ont toutefois remarqué que cela semblait aider les patients gravement touchés à se rétablir.
Toutefois, une réussite anecdotique n’est pas un signe d’efficacité! « C’est quelque chose qui vaut la peine d’être investigué, mais il faut faire attention et réaliser des études claires avant de s’emballer, explique le Dr Jean-Claude Tardif. On a vu ce qui s’est passé avec la chloroquine, il ne faut surtout pas répéter l’histoire avec les anticoagulants. »
C’est d’ailleurs ce que tentent d’éviter la Dre Sholzberg et son équipe, qui ont lancé l’étude canadienne RAPID-COVID-COAG, dont l’objectif est d’évaluer différentes doses d’héparine de façon randomisée.
Les patients seront répartis de façon aléatoire dans deux groupes : un qui recevra une dose standard d’héparine, l’autre avec une dose plus élevée. Les chercheurs vont ensuite suivre ces patients et noter combien vont se retrouver aux soins intensifs, combien vont se retrouver sous ventilateurs et combien vont mourir de la maladie.
«Faire une telle étude aussi rapidement est difficile, mais c’est très important, car les anticoagulants viennent avec des effets secondaires et parfois des saignements graves, explique la Dre Soltzberg. C’est certain que nous aimerions constater que l’héparine sauve des vies, mais on ne peut pas simplement hausser la dose de tout le monde si ça ne sert à rien au final.»
Le traitement des premiers patients participants à l’étude a débuté le lundi 11 mai.
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