En isolement avec Alexandre Dostie : gérer les paradoxes

Le Trifluvien Alexandre Dostie a vu la pandémie mettre un terme à la tournée de son dernier court métrage pour le plonger dans l’écriture de son prochain film. 

La crise est survenue comme un crash pour Alexandre Dostie. Depuis quelques mois, il présentait son court métrage Je finirai en prison dans des festivals un peu partout à travers le monde avec une réponse très favorable. En un instant, tout était terminé.


Le Trifluvien est, depuis, confronté à la page blanche d’un long métrage à naître dans son appartement du quartier Sainte-Cécile. En même temps qu’il absorbe les impacts de la pandémie sur le destin de son dernier-né, un deuil bien entamé.

«Ça va avoir un effet majeur parce que ça en ralentit énormément la diffusion. Certains des festivals où je devais encore aller sont reportés, d’autres, carrément annulés. La moitié d’entre eux, peut-être, ont opté pour une diffusion en ligne des films sélectionnés.»

«C’est dommage, non pas pour les revenus que ça aurait pu m’apporter, mais parce que la paie, quand tu fais un court métrage, c’est justement que le film soit vu par le plus de monde possible dans le plus d’événements possible. Le mot se passait vraiment bien et Je finirai en prison avait un bel élan: on a été sélectionnés dans une soixantaine de festivals. C’est tout ce mouvement-là qui est brisé.»

Être invité dans des manifestations internationales prestigieuses comme celles de Sundance, Clermont-Ferrand ou Tampere, en Finlande, c’est non seulement présenter son œuvre aux plus éminents spécialistes, c’est aussi rencontrer des cinéastes, des programmateurs d’événements, des producteurs. C’est taper un sentier pour le prochain film, un long métrage probablement, pour Alexandre Dostie.

Alors, se dit-on dans notre petite tête d’observateur, c’est un mal pour un bien parce que le confinement impose des conditions idéales au créateur pour écrire ce prochain film. Ce n’est pas complètement faux, comme la plupart des préjugés, mais ça ne tient pas compte des contraintes de l’écriture qui n’est pas sans douleur.

«Moi, explique Dostie, je viens d’un milieu familial ancré dans le concret. Mon grand-père était mécanicien et bûcheron, mon père, mécanicien. Le concret, c’est valorisant, ça apporte un résultat tangible et immédiat. Le cinéma, c’est complètement autre chose: un très long processus exigeant de faire passer des idées complètement abstraites vers quelque chose de concret. Pour moi, c’est comme s’il fallait que je rebranche toute une série de fils dans mon cerveau. Ce n’est pas simple.»

L’écriture est une magnifique confrontation avec soi-même aussi pénible qu’elle peut être jubilatoire. «Mon propos va être aussi dark et dérangeant qu’il l’est habituellement mais j’essaie de faire en sorte que ce soit agréable à mettre sur papier. C’est vraiment dur! Nous sommes habitués à obtenir une gratification immédiate pour ce qu’on fait. L’écriture, c’est un processus à long terme; on n’est pas conditionnés à ça. Depuis un bon mois, je suis là-dessus et c’est un combat.»

Le cinéaste cherche à faire de cette passion son gagne-pain; c’est une pression supplémentaire.

«J’essaie de contrer ça en me répétant constamment que ce n’est qu’un jeu. Comme quand j’étais kid et que je jouais aux Lego. Je voudrais en arriver à m’abandonner simplement à mon imagination comme je le faisais à l’époque, sans préoccupation de résultat ou de qualité du produit final.»

Pourquoi est-ce si simple et naturel à 5 ans et si difficile à 35?

Le bon côté, c’est que les idées ne manquent pas. Alexandre a des filons solides, inspirés. Encore faut-il les structurer dans un scénario riche et cohérent. «Un problème, pour moi, c’est que devant une bonne idée, je me mets à l’explorer dans ses moindres détails. Je peux accumuler des cahiers de notes sur le thème mais après, je suis pris avec ce foisonnement d’avenues qu’il me faut ramener à une histoire simple.»

Le secret, pour peu qu’il y en ait un, tient à une sorte de disposition d’esprit. «Il faut que j’arrive à me mettre dans un état quasiment paradoxal dans lequel je suis complètement investi dans mon écriture en même temps que détaché. Si tu forces trop ton histoire, ça se sent dans le scénario et ce n’est pas bon. Il faut être suffisamment en contrôle pour être disponible à une sorte de magie. Ça implique que tu maîtrises ton histoire tout en t’abandonnant à ce que le subconscient peut exprimer. C’est bien là que réside toute la beauté de la démarche.»

Une beauté tapie derrière les pièges multiples d’un processus aussi capricieux et complexe que l’esprit humain.

«Ce travail est un miroir de soi avec toutes nos contradictions. C’est toi dans ce que tu es de plus beau et de plus laid. Il faut arriver à accepter les deux qui sont deux revers d’une même médaille.»

Jusqu’ici, les films d’Alexandre Dostie ont été aussi intenses et ardemment sincères que lui. Pourrait-il en être autrement? J’ai envie de lui souhaiter que la gestation du prochain ne soit pas trop pénible mais en même temps, si c’est là le prix de la beauté...