Durant cet été de l’après-guerre, Wright et Partlow ont émerveillé les partisans du Stade municipal de Trois-Rivières, en route vers l’un des championnats les plus marquants du siècle dernier dans la région. À cette époque, sur les milliers de joueurs recensés dans le baseball organisé, seulement cinq étaient des Noirs.
Près de 75 ans plus tard, on semble avoir oublié l’apport de ces deux hommes dans la cause de l’intégration du baseball. Aucune trace, ou si peu, de leur passage chez nous.
Ce n’est pas banal: selon des historiens du baseball, Trois-Rivières est devenue la troisième ville en Amérique du Nord, après Montréal et Nashua au New Hampshire, à accueillir des joueurs de couleur dans ce qu’on appelait le baseball blanc.
À l’époque, les Royaux de Trois-Rivières forment l’un des clubs de réserve des Royaux de Montréal, qui sont eux-mêmes la principale filiale des Dodgers de Brooklyn, une formation des Ligues majeures.
Dans les mois qui précèdent la saison 1946, le directeur général des Dodgers, Branch Rickey, ébranle les colonnes conservatrices et rétrogrades de son sport en engageant un Noir, Jackie Robinson. Il deviendra une légende du baseball, mais la route vers la célébrité et la reconnaissance a été parsemée d’embûches: menaces de mort, cris de dérision, marginalisation au sein de sa propre équipe.
Wright, le grand oublié
Avant de rêver au Baseball majeur, Robinson a dû faire ses classes à Montréal, dans la Ligue internationale. En marge du début du camp d’entraînement, le DG Rickey acquiert les services d’un type originaire de La Nouvelle-Orléans et âgé de 29 ans, John Wright. L’objectif avoué vise alors à faciliter l’intégration de Robinson chez les Royaux de Montréal.
Wright n’aura jamais eu la chance de percer dans les Majeures, contrairement à Robinson. Il était toutefois un brillant artilleur dans les Negro Leagues, un terme péjoratif utilisé pour parler des circuits où les Noirs jouaient au baseball. Et ils jouaient sacrément bien.
«Wright a eu une carrière impressionnante. Il était déjà un joueur d’expérience avant d’arriver à Montréal», explique Marcel Dugas, auteur du livre Jackie Robinson, un été à Montréal.
Aux yeux de cet historien du baseball, le film 42, qui relate les premières années de Robinson dans le baseball organisé, a raté une belle occasion de rendre hommage à Wright.
«Ils ont fait un choix éditorial et je trouve ça dommage. C’est comme si Wright n’avait pas existé! Pourtant, il traverse les mêmes étapes que Robinson au camp d’entraînement, en Floride. Il est le principal compagnon de Jackie. Il encaisse autant que lui les annulations des matchs dans des villes où on n’accepte pas la présence des Noirs dans l’équipe de Montréal. Il est victime de discrimination raciale. On a loupé une chance d’offrir de la visibilité à un athlète méconnu.»
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Au final, Wright ne jouera que deux matchs de saison régulière avec les Royaux de Montréal, dans la Ligue internationale. Le gérant du club, Clay Hopper, l’enverra sur le monticule à Baltimore et Syracuse, deux endroits réputés parmi les plus racistes du circuit.
Après six petites manches cumulées, Wright est rétrogradé au niveau C, à Trois-Rivières, le 14 mai 1946.
«Imaginez, le gars est passé du niveau AAA au calibre C! C’est une grosse décote. Malgré tout, les journaux rapportent qu’il a bien pris ça. Il était confiant d’être rappelé.»
Wright, un Louisianais, serait tombé sous le charme de Trois-Rivières. Il aurait même baragouiné un peu de français, difficilement compréhensible, selon ce qu’on rapporte dans certains quotidiens. S’il a connu quelques ennuis en saison, il allait se montrer dominant en séries, quelques mois plus tard...
Partlow, deuxième Noir de l’équipe
L’arrivée de Wright en Mauricie n’impactera pas la production de Jackie Robinson, qui poursuit son excellente saison avec Montréal. Il vole la vedette, tout le monde parle de lui dans la Ligue internationale.
Qu’à cela ne tienne, le directeur général des Dodgers, Branch Rickey, met sous contrat un autre Noir en la personne de Roy Partlow, un gaucher de 35 ans, qui rejoint Robinson dans la métropole québécoise.
À l’image de Wright, il sera jeté dans la fosse aux lions de Baltimore et Syracuse. Il aura au moins le privilège de lancer au Stade Delorimier, domicile des Montréalais, devant des milliers de personnes le jour de la Saint-Jean-Baptiste, comme le souligne Marcel Dugas dans son livre.
Après 10 matchs, Partlow connaîtra le même destin que Wright, qu’il rejoindra au parc de l’Exposition, avec les Royaux de Trois-Rivières. Lui, il n’a pas digéré la décision sur le coup.
«Furieux, il a d’abord refusé de se rapporter au club, raconte Dugas. Un entretien avec Rickey le convainc ensuite d’aller en Mauricie. Chez vous, il a évacué sa frustration sur les frappeurs de la Ligue canado-américaine!»
Et comment! Partlow signera 10 gains en 11 décisions (10-1) en 1946. Le Nouvelliste rapporte les exploits des Royaux trifluviens de façon quotidienne, tandis que CHLN radiodiffuse les parties. Ce sont plus de 110 000 personnes qui franchiront les portes du Stade municipal en 1946.
Trop forts pour la ligue
À Trois-Rivières, Wright et Partlow guideront les Royaux vers le championnat de la saison (72 victoires contre 49 défaites), puis celui des séries, après des victoires contre Rome (New York) et Pittsfield (Massachusetts). Les amateurs de baseball trifluviens allaient célébrer le titre de 1946.
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Dans cette équipe, on retrouvait notamment, en plus de Wright et Partlow, le joueur-gérant Frenchy Bordagaray, un champion de la Série mondiale 1941 avec les Yankees de New York, ainsi que le lanceur Patrick Beauchesne, de Cap-de-la-Madeleine. M. Beauchesne, décédé en 2013, est le grand-père des olympiens Geneviève et Gabriel Beauchesne-Sévigny (canoë-kayak).
«Wright et Partlow jouaient contre des adolescents, des gars âgés à peine dans le début de la vingtaine. Ils ont été dominants dans un niveau nettement inférieur. C’était doublement spécial: on brisait la barrière raciale en triomphant à la fin de la saison.»
John Wright retournera dans les Negro Leagues, le temps d’une dernière année, en 1947. Roy Partlow, lui, reviendra au Québec au début des années 50, dans l’uniforme de Granby de la Ligue provinciale. «On suppose qu’il a aimé le traitement reçu à Trois-Rivières. D’après ce que l’on sait, les Trifluviens ont été respectueux envers les joueurs afro-américains», avance Marcel Dugas, déçu qu’il y ait si peu d’information sur l’héritage de ces deux hommes.
«On mentionne rarement que votre région était aux avant-postes dans l’intégration du baseball. En 1946, c’était la première fois en 60 ans que des Noirs obtenaient un poste dans une équipe du baseball organisé, qu’on appelait alors le baseball blanc. Avant de venir à Trois-Rivières, Wright et Partlow ont évolué en compagnie des meilleurs joueurs afro-américains de leur génération. À la fin de leur vie, sauf leurs proches, peu de gens connaissaient leur parcours.»
Wright (73 ans) et Partlow (75 ans) sont décédés respectivement en 1990 et en 1987.
Un héritage à préserver
Marcel Dugas est d’avis que John Wright et Roy Partlow mériteraient un coin à eux au Stade Quillorama. Il faudrait, à tout le moins, rappeler aux citoyens l’importance qu’aura eue la région dans la lutte pour l’intégration des sports professionnels en Amérique du Nord.
Car avant Wright et Partlow, des équipes composées de Noirs ont visité les villes du Québec, mais ces matchs se déroulaient souvent dans des circuits semi-professionnels, non affiliés au Baseball majeur.
«C’était différent. La présence de Robinson à Montréal et celles de Wright et Partlow à Trois-Rivières, ça transcende le sport.»
Le père de ce mouvement pour l’inclusion des Noirs dans le sport, Branch Rickey, aura frappé un coup de circuit en 1946.
Non seulement ses Royaux de Montréal ont goûté le champagne du championnat avec Jackie Robinson, leurs petits frères de Trois-Rivières les ont imités au niveau C. Dans le calibre B, l’équipe de Nashua, misant sur deux futurs joueurs des Majeures en Don Newcombe et Roy Campanella, ferait de même.
«Je suis persuadé que Monsieur Rickey s’est réjoui du championnat de Trois-Rivières. Sa stratégie fonctionnait, les équipes intégrées ont eu du succès cette année-là!»
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Les Dodgers ont d’ailleurs rendu visite à leur club-école de Trois-Rivières, en juillet 1946, pendant la pause du match des étoiles. Jackie Robinson et les Royaux ont également été de passage dans la cité de Laviolette, plus tard durant l’été, le même soir où Charles Trenet était en spectacle à l’Aréna de Shawinigan. Une faste soirée!
Il est possible de commander le livre de Marcel Dugas en librairie. En 1989, Jean-Marc Paradis a aussi publié une œuvre marquante sur l’histoire du baseball en Mauricie. 100 ans de baseball à Trois-Rivières est disponible dans certaines bibliothèques de la région.