Propos recueillis par Steve Turcotte
Pour la majorité des petits gars du Québec, jouer dans le junior, c’est un peu notre Ligue nationale. J’ai eu ce beau privilège. En plus, j’ai été chanceux, j’ai joué pour deux excellentes organisations. Après avoir levé la coupe du Président avec les Foreurs de Val-d’Or à ma première saison, j’ai fini mon stage junior avec les Cataractes de Shawinigan.
Je suis devenu un Cataractes le 12 janvier 2000, par voie de transaction. Je m’en souviens très bien, je n’ai eu que quelques heures pour boucler mes valises, saluer mes amis et ma famille de pension. Même si je revenais à la maison, ce fut un choc, j’étais attendu le soir même à Hull où les Cataractes allaient jouer contre les Olympiques!
Une semaine après mon arrivée les vétérans de l’équipe ont tenu une réunion car depuis les échanges, l’équipe faisait du surplace. Au début personne n’osait parlé mais les gars ont commencé à se parler franchement et finalement tout le monde avait pu s’exprimer. Un vrai meeting productif! J’ai toujours cru que cette réunion avait jeté les bases pour la saison suivante.
loin d’être favoris
Nous avions ensuite perdu de gros morceaux durant l’été comme Pascal Dupuis, Jean-Philippe Paré, Mathieu Chouinard, Philippe Deblois et Jean-Sébastien Trudelle. Personne ne nous voyait parmi les favoris, à l’aube de la saison 2000-01. À l’interne toutefois, il régnait une belle chimie qui inspirait confiance. Chimie qui avait été installée l’année précédente.
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Et puis, Denis Francoeur avait réussi quelques bons coups avec les additions de Radim Vrbata, Zbynek Michalek et Frédéric Cloutier. Michalek avait été obtenu contre presque rien, dans le vestiaire nous avions pris cette transaction avec un grain de sel mais on s’est vite aperçu que c’était un excellent défenseur. Vrbata et Cloutier ont eux aussi été très performants. Avec la progression de Jonathan Bellemare et Jason Pominville, tout s’est mis en place dès le début de la saison.
C’est dur à expliquer, mais tout fonctionnait! Chacun acceptait son rôle et le défendait avec fierté. On avait un gars comme Alex Burrows sur la quatrième ligne qui était sorti de nulle part et qui contribuait comme les autres. Il n’y pratiquement eu aucun blessé durant la saison. Notre entraîneur gardait toujours les mêmes combinaisons. Lors de l’exercice de sociométrie fait par Pierre Villemure, il n’y avait pas uniquement quatre ou cinq leaders qui sortaient du lot, le groupe au complet se touchait, ce qui semble-t-il était très rare.
Bien sûr, on avait du talent. Ce n’est pas un hasard si cinq joueurs du groupe ont évolué très longtemps dans la LNH par la suite. Mais il y avait plus que ça, à mon avis. Tout le monde était dans la bonne chaise, et on avait un encadrement de très grande qualité avec les Denis Francoeur, Benoît Groulx, René Perron et Gilles Lefebvre. Notre dépisteur-chef était Alain Bissonnette, qui est maintenant dans la LNH. Tu réunis tout ça et si la sauce prend, ça peut faire des ravages.
C’est ce qui est arrivé. Littéralement. C’était même trop facile, certains soirs. On a marqué 375 buts, on a donné plusieurs leçons de hockey. Ça roulait fort, notre affaire!
À la période de transactions, Denis (Francoeur) avait ajouté le seul élément qui semblait nous manquer, soit le capitaine des Wildcats de Moncton Trevor Ettinger. En plus d’être un défenseur robuste reconnu pour son leadership, il était épeurant, Trevor. Il ne craignait rien.
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Il y avait eu des rumeurs l’envoyant chez nous durant une bonne partie de la saison. Trevor savait qu’il terminerait sa carrière junior chez nous. Pourtant, quelques semaines avant la transaction, il n’avait pas hésité à charger notre banc à Moncton! Il avait raté 2-3 mises en échec dans ce match qui n’étaient pas à son goût, j’avais osé le narguer une fois en rentrant au banc. Il m’a suivi, même s’il était seul de son camp face à une quinzaine de joueurs! Non, tu ne niaisais pas avec Trevor. Personne n’aimait jouer contre lui. On était évidemment content de l’avoir de notre bord pour le dernier droit. Il s’est inséré parfaitement dans la chimie d’équipe.
On a donc continué à gagner. Le mot s’est propagé en ville, les gradins de Jacques-Plante se sont remplis. Il se passait quelque chose de spécial. Certains matchs, il y avait au moins 1000 fans de plus dans l’aréna que le chiffre officiel! Quand la cabane est pleine à Shawinigan, je peux témoigner que c’est très stimulant sur la glace.
Nous avons terminé avec 116 points, la meilleure fiche au Canada. Marc-André Bergeron avait battu le record national pour le plus grand nombre de buts par un défenseur. Nous n’avons pas perdu deux matchs de suite une seule fois. Tout ça faisait en sorte que lorsque les séries sont arrivées, il y avait de grosses attentes envers nous…
Une bête noire à dompter
Après avoir bénéficié d’un laissez-passer en première ronde, on devait se mesurer à notre bête noire. En effet, seuls les Huskies de Rouyn-Noranda avaient réussi à se forger une fiche positive contre nous. Une seule victoire en quatre matchs contre eux en saison, ça nous faisait un peu peur pour être bien honnête. On savait que l’organisation n’avait pas eu beaucoup de succès en séries les années précédentes, on se disait tous qu’on ne devait pas s’écrouler.
Notre préparation a été sans faille. Tous les gars avaient le couteau entre les dents. On ne voulait tellement pas manquer notre coup. La série fut intense, physique, mais nous l’avons balayée quand même! Une énorme pression venait de tomber. Peut-être même, malheureusement, qu’on se croyait invincible après ça. C’est une réaction humaine, quand tout roule. On a probablement cru qu’à partir de là, ce serait facile.
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Un parcours différent
Quelle erreur! Nos adversaires, les Foreurs de Val-d’Or, avaient pris un chemin différent pour se rendre en demi-finale. Ils avaient eu besoin de sept matchs pour éliminer les Tigres au tour précédent. Ils avaient connu un départ plus lent en saison. Talent pour talent, les deux clubs se ressemblaient. La différence, c’est que l’adversité subie en saison avait aguerri les joueurs des Foreurs.
Nous avions quand même amorcé la série en force. Au premier duel, le gardien Simon Lajeunesse avait volé le match! Ce fut rare cette année-là de perdre quand nous avions dirigé plus de 40 tirs au but… On s’est débarrassé de Lajeunesse au second match que nous avons gagné en prolongation mais au 3e match, ce fut au tour de son adjoint Maxime Daigneault, un flo de 16 ans, de nous voler un match.
À partir de là, on a commencé à ressentir plus de pression. On devait jouer cette demi-finale sans Michalek, blessé face aux Huskies. Contre une équipe aussi rapide que celle des Foreurs, ça faisait un méchant trou dans notre brigade défensive. On a perdu le quatrième match, on revenait à la maison faire face à l’élimination. On a tenu une grosse réunion, on a réussi à gagner ce cinquième duel pour retourner à Val-d’Or.
Fallait alors à nouveau sauver notre peau, cette fois dans une atmosphère hostile. Sans Jonathan Bellemare en plus, qui avait raté le match précédent aussi, tellement malade qu’il avait été hospitalisé. Son absence faisait terriblement mal, c’était notre meilleur joueur depuis le début des séries.
On a choké.
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La pression était sur nous. Les Foreurs, eux, ont connu un départ canon dans ce sixième match et nous n’avons pas été en mesure de suivre. Une année de rêve se terminait bien abruptement, en Abitibi.
Pour moi, la déception était encore plus vive : c’était la fin de mon parcours junior. Et je venais de me faire éliminer par mon ancien club en plus. J’étais inconsolable.
Chapeau aux Foreurs
Bien des choses ont été dites à propos de cette amère défaite face aux Foreurs. C’est faux de dire qu’il y avait dissension dans l’équipe. Durant toute l’année, il y avait eu un seul incident hors-glace. Juste avant les séries, alors que nous avions eu la permission de sortir, un joueur s’était mal comporté et il s’était fait expulser d’un bar. Nous avions tenu une réunion avec Denis le lendemain, nous avions vidé la question et tout était réglé par la suite. La preuve, nous avions balayé les Huskies.
Est-ce qu’il y a des choses que nous referions différemment dans la série face aux Foreurs? Après coup, c’est toujours plus facile. Mais sur le moment, on avait le meilleur personnel d’entraîneurs pour nous guider, et notre préparation avait été excellente.
La seule chose que je changerais si je le pouvais, c’est… de nous enlever quelques victoires en saison! Mettons marquer 300 buts plutôt que 375. Nos matchs auraient été plus serrés, on aurait pu grandir un peu plus dans l’adversité. En séries, tous les petits détails comptent. Ça se joue sur pas grand-chose.
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Les Foreurs avaient cette petite étincelle de plus. Leurs meilleurs joueurs ont été les meilleurs. Mieux préparés par l’adversité, j’imagine, pour accepter de payer le prix dans le crunch. C’est quelque chose qui s’apprend. Regarde Alexander Ovechkin, ça lui a pris combien d’années avant d’accepter de devenir un joueur plus complet pour mettre la main sur la coupe Stanley?
À plus petite échelle, dans les niveaux inférieurs, la dynamique reste la même. Le talent, c’est important. La volonté de laisser chaque once d’énergie sur la glace fait toutefois la différence. Chapeau aux Foreurs, ils n’ont rien volé. Ils sont venus d’ailleurs bien près de soulever la coupe Memorial après avoir gagné la Coupe du Président. Nous avons perdu contre une excellente équipe. Simon Gamache était tout un joueur, Daigneault a été incroyable quand Claude Bouchard lui a donné le filet.
C’est une aventure inachevée dont on parle encore à l’occasion entre anciens. Il n’y a qu’une seule équipe gagnante au bout du compte. Je pense que la seule chose qui nous manquait pour être celle-là au printemps 2001, c’est un peu plus d’adversité au cours de l’hiver.