Les travailleurs québécois attendus aux champs

David Lemire propriétaire de la Ferme Gagnon de Trois-Rivières et président de l’APFFQ.

TROIS-RIVIÈRES — À la Ferme maraîchère Gagnon, de Trois-Rivières, on attendait 44 Guatémaltèques, pour la saison 2020. Seulement cinq avaient réussi à avoir leur visa avant le début du confinement, à la mi-mars. Ces cinq travailleurs étaient censés arriver le 15 avril au Québec. La Ferme Gagnon a appris, le 13 avril, que c’était annulé. «Le gouvernement du Guatémala a décidé de prendre une semaine de plus avant d’envoyer des gars à l’extérieur», indique le propriétaire de la Ferme Gagnon, David Lemire, qui est aussi président de l’Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec. «Tous les vols en provenance du Guatémala ont été annulés», se désole-t-il.


Ces travailleurs ne devraient donc pas arriver avant le 25 avril.

Si ce n’était que ça.



Ils devront aussi demeurer en confinement pendant 14 jours dès leur arrivée. Or, c’est vers le 25 avril que commencent habituellement les plantations, signale M. Lemire. «Il faudra faire l’épicerie pour eux parce qu’ils ne pourront pas sortir», dit-il. «Et ici, on pense continuer à faire leur épicerie pour un bout après», indique le producteur, «parce que pour nous, ce serait une catastrophe qu’ils attrapent la COVID-19 en allant faire l’épicerie. Ça risque de faire en sorte que tout le monde va retomber en quarantaine et c’est dangereux pour nous de ne pas avoir de main-d’oeuvre», fait-il valoir.

Au cours de la période de quarantaine, il faudra fournir des thermomètres à ces travailleurs et quelqu’un de la Santé publique sera en contact avec eux, indique M. Lemire. Si les travailleurs arrivent par petits groupes de cinq au lieu d’arriver tous en même temps, le confinement sera alors beaucoup plus compliqué, anticipe-t-il. Il faudra des maisons différentes et des véhicules différents pour les isoler. «Ça va être tout un casse-tête cette année», prévoit-il.

Rappelons qu’Ottawa a récemment débloqué 50 millions $ pour financer la mise en quarantaine de ces travailleurs agricoles étrangers, ce qui représente 1500 $ par travailleur.

«Mais ça, c’est s’ils arrivent», nuance le président de l’APFFQ. «On nous dit que ce n’est pas sûr que les bureaux de visas ouvriront tout de suite. On ne sait donc pas quand ceux qui n’auront pas eu leurs papiers avant la COVID-19, dans notre cas 37 travailleurs, pourront les avoir», s’inquiète le producteur maraîcher.



Les premiers avions de travailleurs étrangers temporaires mexicains sont arrivés samedi dernier, puis d’autres encore au cours des derniers jours, indique David Lemire. Il semble que les procédures de visa soient un peu plus avancées dans ce pays. Selon lui, environ la moitié des travailleurs mexicains avaient réussi à obtenir leur visa avant le confinement.

David Lemire se croise les doigts pour voir arriver sa précieuse main-d’oeuvre étrangère guatémaltèque au moins en juin, «pour commencer les récoltes».

«Alors, on essaierait de planter avec des Québécois. On pensait que ce serait très facile d’avoir des travailleurs locaux parce qu’il y a beaucoup de chômage, mais on s’aperçoit que les gens aiment mieux garder leurs 2000 $ assis chez eux que de venir planter des fraises dans les champs parce qu’ils perdent leurs 2000 $», dit-il.

C’est pourquoi vendredi, le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne et le ministre du Travail et de l’Emploi, Jean Boulet, ont annoncé une aide financière de 45 millions $ pour encourager les gens au chômage à aller travailler dans les champs. Cela représente un incitatif financier de 100 $ par semaine par chômeur (voir autre texte).

Même si M. Lemire espérait cette aide, il estime que les travailleurs locaux québécois ne travaillent pas au même rythme que les Guatémaltèques. «Si l’on paie la même chose pour la moitié du rendement, les produits ne seront plus vendables. Les fruits seront bien trop chers. Pour remplacer 44 Guatémaltèques, il faudrait environ 120 travailleurs locaux», calcule M. Lemire «parce qu’ils ne viendront pas chaque jour, parce que l’après-midi, si c’est trop chaud, ils ne voudront pas travailler et ils ne sont pas habitués à travailler aux champs, donc ce ne sera pas le même rythme.»

De plus, il y a de la formation à donner pour la plantation et l’irrigation. «Savoir que nos gars viendraient pour les récoltes, ça vaudrait la peine de mettre de l’effort», indique M. Lemire.



Si jamais les fermes n’arrivent pas à obtenir la main-d’œuvre étrangère dont elles ont besoin, «ce sera alors utopique de penser récolter avec des Québécois», estime M. Lemire. «On est dans le champ à 5 h du matin quand il pleut et qu’il fait froid. Les gens ne sont plus habitués à ce genre de travail là», estime-t-il.

Autre ombre au tableau, les fermes pourront-elles être ouvertes à l’autocueillette, cet été, avec la pandémie? «Ce n’est pas clair encore», dit-il à cause de la distanciation à respecter.

Le maïs sucré, lui, pourrait sans doute être récolté par des Québécois, en particulier des étudiants.

Il y a des risques de ne pas avoir de travailleurs étrangers, des risques d’une nouvelle quarantaine sur la ferme au cours de l’été, des risques que les consommateurs confinés ne puissent venir acheter à la ferme, toutefois, malgré autant de menaces, les producteurs se disent prêts à investir dans la saison 2020 assure la présidente de l’APFFQ.