Entente de principe dans le conflit de travail au CN: «c’est ça que ça prenait»

Le CN a conclu une entente de principe avec le syndicat représentant les 3200 cheminots.

TROIS-RIVIÈRES — L’entente de principe conclue mardi entre les 3200 cheminots et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) amène plusieurs intervenants régionaux à pousser un soupir de soulagement.


L’entente prévoit le retour aux activités normales du CN à 6 h, mercredi matin. Cette nouvelle était attendue avec impatience notamment par les agriculteurs en manque de propane pour faire sécher leurs grains ou pour chauffer leurs bâtiments. Même si ceux-ci ne savent pas encore exactement quand la prochaine livraison de propane sera effectuée, l’annonce de l’entente de principe est accueillie avec joie.

«C’est sûr que c’est ça que ça prenait. Il va y avoir des délais pour que les réservoirs se remplissent, peut-être quatre ou cinq jours. Mais il fallait que ça se règle», raconte Claude Chartier, un agriculteur de Champlain qui a participé lundi à une manifestation à Montréal, devant les bureaux du premier ministre Justin Trudeau.

Président de la section régionale des Producteurs de grains du Québec, M. Chartier rappelle que, sans propane, les agriculteurs sont coincés. «La récolte est encore dans les champs et tu ne peux rien faire. Mais la température est assez clémente. On va être capable de se rendre jusqu’à une attente de quatre ou cinq jours. Si on a du propane vendredi, on pourrait battre mercredi. Il me reste à peu près deux jours de battage.»

Même si les activités de la plus importante compagnie ferroviaire au pays devraient reprendre dès mercredi, de nombreux agriculteurs québécois risquent de continuer à ressentir les effets du conflit de travail.

«On pense que le rétablissement complet de la chaîne d’approvisionnement devrait se faire d’ici trois à quatre jours», a estimé le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, au cours d’une mêlée de presse en compagnie de son collègue à l’Agriculture, André Lamontagne.

La présidente de l’Association canadienne du propane, Nathalie St-Pierre, a estimé que les prévisions de M. Julien étaient «très optimistes».

«Ils ont peut-être de bons contacts au CN, a-t-elle indiqué, au cours d’un entretien téléphonique. Nous ne sommes pas sortis du bois. Six millions de litres de propane, c’est environ 27 wagons. C’est un défi logistique. Il faudra aussi rebâtir les stocks.»

De son côté, le ministre Lamontagne a indiqué que plus de 1300 avis de dommages avaient été déposés par des agriculteurs dont les récoltes se trouvent toujours dans les champs. Il a cependant écarté, pour l’instant, le déploiement d’une aide financière, comme celle réclamée plus tôt par le président des Producteurs de grains du Québec, Christian Overbeek, qui a précisé qu’environ 300 millions $ de récoltes étaient à risque.

À la Société du parc industriel et portuaire de Bécancour, Maurice Richard reconnaît que si la grève avait duré encore quelques jours, la situation aurait été problématique pour certaines compagnies.

«Les entreprises qui sont dans des productions continues, sept jours sur sept, auraient dû arrêter la production. Ça aurait été une mauvaise nouvelle pour la productivité et les emplois, mais aussi pour repartir la production. Repartir une production, ça peut prendre de 10 à 15 jours», mentionne le président et directeur général de la société.

Les entreprises oeuvrant dans le secteur chimique sont particulièrement vulnérables à la suspension des activités de transport du CN.

«Dans le domaine, ce n’est pas des produits que tu entreposes comme si c’était des marinades. Le train, à la société du parc, est un service essentiel. C’est le CN qui traverse le pays. Et c’est un des atouts que nous avons. L’entente de principe est une très bonne nouvelle. On peut dire: «Ouf». L’impact n’est pas juste pour les grains des agriculteurs. L’impact est énorme pour les entreprises qui utilisent ce transport qui est quand même un des plus économiques et des plus fiables», ajoute M. Richard, en précisant que la Société du parc industriel et commercial de Bécancour est un des gros clients du CN entre l’autoroute 20 et le fleuve Saint-Laurent.

Si les agriculteurs étaient privés de propane, c’est en raison de la décision de mettre en priorité l’approvisionnement des hôpitaux et des résidences pour personnes âgées durant le conflit de travail. Cette décision a permis au CIUSSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec de faire remplir vendredi dernier ses bonbonnes de propane utilisé pour les services alimentaires et le chauffage de l’eau.

«On a une autonomie d’environ trois semaines, au moins, avec les réserves de propane. Mais si le conflit avait duré, il aurait fallu adopter des stratégies», fait remarquer Guillaume Cliche, agent d’information du Centre de santé et de services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec.

François-Philippe Champagne, ministre au gouvernement Trudeau et député de la circonscription de Saint-Maurice-Champlain, rappelle qu’un conflit de travail d’un tel transporteur peut avoir un impact sur les régions, car c’est de là que proviennent les matières premières.

«L’entente est une très bonne nouvelle. Le CN est plus qu’une entreprise privée. C’est en grande partie le coeur de la logistique canadienne. On a tous besoin que les opérations du CN fonctionnent à plein régime. Quand la chaîne logistique est interrompue, ça a des conséquences plus rapides et plus directes dans nos régions. C’est déplorable qu’on en soit arrivé où on en est arrivé dans ce conflit. Il y a des leçons à retenir de part et d’autre pour qu’on bâtisse de meilleures relations de travail pour éviter ces conflits.»

Si la grève s’était prolongée jusqu’à la fin de la semaine, son impact sur l’économie canadienne aurait pu atteindre 2,2 milliards $, selon l’économiste en chef de la Banque TD, Brian DePratto.

Autres étapes

L’entente de principe doit maintenant être ratifiée par les membres de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada par vote électronique au scrutin secret. Son contenu sera présenté dans le cadre de réunions à travers le pays, un processus qui s’échelonne habituellement sur plusieurs semaines.

Les détails de l’entente de principe ne seront pas divulgués avant que les membres - sans contrat de travail depuis le 23 juillet - aient eu l’occasion d’examiner le document.

Ottawa faisait face à des pressions croissantes pour résoudre la grève - par une médiation rapide, un arbitrage contraignant ou une loi spéciale. Toutefois, le gouvernement Trudeau avait dit considérer que le moyen le plus rapide de résoudre le conflit serait un règlement négocié conclu à la table de négociation.

«Les gouvernements précédents violaient régulièrement le droit de grève des travailleurs dans l’industrie ferroviaire, a déclaré le président de Teamsters Canada, François Laporte, dans un communiqué. Ce gouvernement est demeuré calme et s’est efforcé d’aider les parties à conclure une entente, et cela a fonctionné».

Le chef de la direction du CN, Jean-Jacques Ruest, a remercié les clients de la compagnie de chemin de fer pour leur patience et leur soutien et a affirmé que le transporteur ferroviaire se préparait à reprendre ses activités ferroviaires dans les meilleurs délais.

Les cheminots avaient soulevé des inquiétudes au sujet de leurs longues heures de travail, de la fatigue et de ce qu’ils considéraient comme des conditions de travail dangereuses. Le CN a rejeté l’affirmation du syndicat selon laquelle la grève concernait la santé et la sécurité au travail, suggérant au contraire qu’elle tournait autour de la rémunération des travailleurs.

Malgré un soulagement du côté du Conseil du patronat du Québec, l’organisme a estimé qu’Ottawa devait se pencher sur la législation fédérale en matière de relations de travail lorsqu’il «n’existe pas de fournisseurs alternatifs disponibles» et qu’on ne siège pas au Parlement.

Avec La Presse canadienne