Folie démesurée et réjouissante

L’aventure de l’Espadon offre à quelques comédiens, comme ici Martin Malenfant, beaucoup d’espace pour s’éclater dans des compositions savoureuses.

CRITIQUE / C’est certainement un des projets les plus ambitieux mis sur pied par le Théâtre des Nouveaux Compagnons qui lance la saison du centième anniversaire de la compagnie théâtrale trifluvienne. L’aventure de l’Espadon est un truc énorme qui s’avère très réjouissant grâce à la mise en scène enjouée et allumée de Martin Malenfant.


Situons d’abord cette franche comédie. Le public est initialement convié à une émission de télévision qui cherche à faire la lumière sur ce qui s’est passé dans l’aventure d’une ambitieuse émission de téléréalité, L’aventure de l’Espadon, qui a si mal tourné qu’elle a provoqué l’effondrement de la télévision telle qu’on la connaissait. Rien que ça. Le public devient alors le témoin privilégié du tournage de cette série qui se passe sur un paquebot où toutes les lois de la vie terrestre sont ignorées par la magie de l’immunité des participants. Rien de ce qu’ils font sur le bateau ne peut être retenu contre eux.

En mêlant à cette prémisse l’insatiable désir de gloire et de succès de tout un chacun, sous la tutelle d’un producteur sans scrupule prêt à tout pour faire des cotes d’écoute et de l’argent, on plonge dans un monde irréel et déjanté. Dans ce monde, le temps s’écoule au rythme des épisodes quotidiens de l’émission. Le principe moteur est simple: la première émission de chaque semaine est l’occasion pour l’un ou l’autre des participants tiré au hasard de faire une révélation à la caméra et devant le groupe réuni sur le bateau. Les autres épisodes de la semaine sont consacrés aux réactions que cette révélation provoque chez les autres. Évidemment, tout cela ne tarde pas à déraper et la machine s’emballe au grand plaisir du producteur.



Ce qu’il y a de bien dans cette structure de base, c’est qu’elle ouvre toute grande la porte autant à la comédie loufoque et absurde qu’à la dramatique prise de conscience de l’immoralité de l’émission et de ses créateurs. Or, la réalité décrite dans la pièce n’arrive pas, par sa criante absurdité, à nous aveugler suffisamment pour nous empêcher de faire le lien avec les téléréalités qui inondent les ondes de notre mode de divertissement préféré.

Comme c’est souvent le cas, c’est par le redoutable véhicule de l’humour que l’auteur aborde le sujet scabreux. Un humour absurde, puéril, déjanté et parfaitement réjouissant qui se nourrit beaucoup d’une mise en scène particulièrement folichonne de Martin Malenfant. On voit bien qu’il s’est amusé comme un petit fou. Son plaisir devient le nôtre, de spectateurs. Il établit une sorte de jeu tacite avec le public en se permettant toutes sortes de délires au deuxième degré qui sont d’autant plus sympathiques et drôles qu’ils sont parfois noyés dans le tumulte ambiant et donc plus réjouissant à découvrir pour l’oeil averti.

Ainsi, alors que toute la pièce est cadencée par des affiches tenues par une hôtesse qui annonce chaque épisode de la télésérie comme les filles qui annoncent les rounds dans les combats de boxe, il cherche constamment des trucs pour surprendre via le travail de la comédienne Nathalie Duguay qui semble vraiment bien s’amuser. L’humour fonctionne par la répétition constamment altérée. D’un autre côté, le temps est également marqué par les ébats plus ou moins discrets d’un jeune couple frappé par les munitions de Cupidon et dont l’amour s’exprime dans des positions qui suggèrent un délire Cirque du Soleil-esque. Mais tout ça se fait en arrière-plan. Plusieurs des meilleures blagues ou mimiques se font ainsi discrètement. C’est particulièrement savoureux dans une scène où les très nombreux participants à la téléréalité se retrouvent dans une réception au cours de laquelle plusieurs offrent des numéros déjantés.

La distribution est énorme avec sa quarantaine de comédiens; forcément, l’interprétation est inégale. Par contre, certains se démarquent. On pense à Adamo Ionata qui relance la pièce et lui donne tout son sens par son impressionnante prestation. Martin Malenfant est également remarquable de nuance et de justesse. Une surprise parce qu’on ne la connaît pas: Laurie Pleau, vraiment excellente en animatrice artificielle, ambitieuse et vaine qui incarne si efficacement tout ce qu’il y a de plus détestable dans les téléréalités.



Il reste que ce sont des trouvailles de la mise en scène qui font le plus rire et donnent un côté très divertissant à ce spectacle d’une durée de 2 h 40 avec l’entracte.

C’est très touffu et évidemment, tout n’était pas au point jeudi. Comme on présente la pièce sept fois, plusieurs gags et scènes vont s’améliorer à mesure que les interprètes vont s’approprier tout l’espace que leur laisse la mise en scène pour briser les limites du naturel. Plusieurs flashes n’auront pas le temps de se placer comme ils le méritent; le projet était très ambitieux.

Parlant d’ambition: l’énorme dispositif scénique dépasse de loin les normes courantes. Le décor offre une vue sur l’intérieur de huit cabines dans lesquelles évoluent des personnages. Des cabines qui se transforment en bureaux ou en salle des machines selon les nécessités du récit. Les changements se font habituellement de façon assez fluide mais une transformation majeure dans la seconde partie est d’une lourdeur vraiment excessive. N’empêche: il faut louer l’audace.

À défaut d’être complètement maîtrisée, toute cette aventure fait plaisir à voir et il serait très intéressant de voir où en sera cette production dans ses dernières représentations. C’est un divertissement réjouissant à bien des égards. Il témoigne de beaucoup d’imagination, d’une séduisante folie et d’une ambition qui mérite le respect.