Ce sont 515 réfugiés qui se sont installés à Trois-Rivières depuis cinq ans, fait valoir Ivan Suaza. Ils sont majoritairement originaires de la Syrie et d’Afrique, selon les données du SANA et 70 % d’entre eux ont moins de 18 ans. Au terme de la première année, se félicite M. Suaza, ils seront au travail ou aux études dans une proportion de 90 %.
La réalité des réfugiés, M. Suaza le souligne d’entrée de jeu, diffère grandement des celle des immigrants. «Un immigrant décide de s’installer ici», explique le directeur du SANA, «il va payer pour venir ici. Un réfugié, lui, c’est un immigrant humanitaire». Si l’immigrant arrive au Québec au terme d’une démarche qui découle d’un choix, les réfugiés débarquent pour la plupart dans un contexte de survie. Leur prise en charge par les services d’accueil est tout autre.
Au SANA de Trois-Rivières, on s’adresse aux deux clientèles dans une proportion à peu près égale. Or, si les difficultés que rencontrent les «travailleurs qualifiés» relèvent de problématiques somme toute mineures — M. Suaza parle entre autres de mal du pays —, la réalité des réfugiés en est souvent une de détresse psychologique.
Cette situation s’explique notamment par le fait qu’il n’est pas rare de voir des personnes passer 10 ou 20 ans dans un camp de réfugiés, relate M. Suaza. Il raconte le cas d’un homme qui est arrivé à Trois-Rivières au terme d’un «séjour» de 44 ans dans un camp de réfugiés. C’est souvent l’exode de populations vers un pays voisin, dans un contexte de guerre, qui voit ces camps surgir spontanément du sol. Certains abritent des centaines de milliers de personnes, soutient-il.
Si le processus d’accueil n’est pas le même pour les travailleurs qualifiés et les réfugiés, la dynamique d’adaptation diffère aussi beaucoup, selon Ivan Suaza. Il illustre son propos en parlant du froid et de la neige. Pour un immigrant, la première expérience d’un -30 degrés en janvier s’accompagne souvent d’une remise en question de ses choix, explique-t-il. Tandis qu’à l’opposée, pour un réfugié, le premier contact avec la neige vient parfois consolider le sentiment d’avoir laissé loin derrière soi les périls d’une vie de misère et de souffrances, fait valoir le directeur du SANA.
Le destin de Japhet Nibaruta
Originaire du Burundi, Japhet Nibaruta verra la guerre civile le pousser à se réfugier en Tanzanie. Il atterrit dans un camp de réfugiés. Il a 14 ans. Il y sera pour les 18 prochaines années.
S’il préfère ne pas s’étendre sur les conditions de vie dans le camp qui compte 120 000 habitants, on comprend que le quotidien de M. Nibaruta n’est pas facile.
Sa réalité en est une de survie. Il a un petit boulot clérical dans l’hôpital du camp, opéré par Médecins sans frontières. Un salaire modeste qui lui permet de garder la tête hors de l’eau.
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À l’âge de 30 ans, M. Nibaruta qui vit dans le camp depuis 16 ans a un premier enfant. Or, celui-ci est affligé d’une malformation du visage appelée fente palatine, particulièrement sévère. Il relate un nouvel enfer. Son enfant est la source d’une attention continuelle partout où il passe. Sa condition nécessite une alimentation et des soins qu’il n’a tout simplement pas les moyens de soutenir.
Un médecin canadien œuvre à l’hôpital où Japhet Nibaruta travaille. Constatant l’infirmité de l’enfant, il indique que des spécialistes à Montréal pourraient s’occuper de lui et le traiter. Un mauvais coup du destin deviendra ainsi le salut de la jeune famille.
Pris en charge, les Nibaruta franchiront les étapes administratives qui les verront bientôt atterrir au Québec. L’enfant sera opéré et la famille s’installera à Trois-Rivières.
Aujourd’hui, un an plus tard, Japhet Nibaruta relate son parcours avec un large sourire. Il est reconnaissant de l’accueil qu’il a eu ici. «Les gens ont de l’amour, ils me permettent d’oublier le passé», déclare-t-il. Celui qui est maintenant père de deux enfants parfait chaque jour son français. Il entreprendra bientôt des études. Il veut devenir infirmier.
Une trace d’ombre sur la marche
La présence de tracts à caractère islamophobe, posés sur des mûrs et des poteaux tout au long du trajet de la marche, est venue rappeler que l’accueil des étrangers pose des défis de toute sorte.
L’un des marcheurs, qui avait fait le trajet en amont de la manifestation, s’était toutefois assuré que les tracts en question étaient retirés avant que le cortège ne passe.
On se souviendra qu’un peu plus tôt ce mois-ci, le SANA avait interpellé les autorités après avoir reçu des appels haineux dans la foulée de la diffusion d’une publicité. Celle-ci mettait en scène deux femmes voilées aux côtés de femmes qui ne l’étaient pas.
Ivan Suaza préfère attribuer l’incident à un petit groupe d’individus peu organisé et animé par la peur. Il se réjouit par ailleurs d’avoir reçu beaucoup de messages de soutien et d’encouragement suite à l’épisode.
Quant aux tracts qui ont été retirés du trajet de la marche, jeudi après-midi, celui qui s’est occupé de les enlever se dit plus préoccupé. «Ce qui m’inquiète c’est qu’un petit nombre mal intentionné arrive à rallier des gens qui n’ont pas nécessairement des intentions extrêmement profondes. Par contre, on va leur parler avec un langage simple, facile à comprendre et là, ce qu’on va avoir c’est 40 ou 50 leaders, mais avec un paquet de monde qui va suivre sans trop comprendre dans quoi ils s’embarquent vraiment. C’est ça qui est dangereux», soutient-il.
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«Avec les grandes migrations qui s’en viennent, on a deux visions du monde qui s’opposent. Il y a celle qui partage la tarte et il y a celle qui construit des mûrs et qui s’achète des guns», conclut le militant qui se désole de ce qu’il qualifie de repli sur soi.