«(C’était pourtant) un étudiant qui en personne était très courtois et agréable», a expliqué Stéphane Villeneuve, qui enseigne au département de didactique de l’UQAM. «L’étudiant a ensuite regretté son geste en m’expliquant qu’il en avait beaucoup sur les épaules avec ses responsabilités et s’est excusé de façon très sincère en personne. (Mais) cela démontre une fois de plus que les gens se sentent intouchables derrière leur écran.»
Une seule étude aurait été réalisée sur la question dans l’Ouest canadien et cette nouvelle enquête serait la toute première au Québec et dans l’Est du pays. Quelque 1400 enseignants de l’UQAM et de l’Université du Québec à Trois-Rivières ont reçu un questionnaire pour cette première étape. L’enquête pourrait éventuellement être élargie à toutes les universités francophones du Canada.
Pour un, le professeur Ismaïl Biskri, président du Syndicat des professeur(e)s de l’UQTR, estime qu’il faut prendre cette étude très au sérieux et encourage ses membres à répondre au questionnaire du professeur Villeneuve.
Ce dernier s’intéressera notamment à la relation entre la cyberintimidation, l’appartenance à une minorité visible et le genre. L’étude devrait ainsi permettre de vérifier si les femmes sont davantage cyberharcelées que les hommes et de voir comment hommes et femmes réagissent à ce genre de situation.
«Les attaques peuvent porter sur la personnalité, ça peut être des commentaires concernant l’orientation sexuelle de la personne, ça peut devenir beaucoup plus personnel qu’académique», a expliqué le professeur Villeneuve. «Les professeurs interagissent maintenant beaucoup par courrier électronique et dans les réseaux sociaux. Nous ne sommes plus à l’abri comme on pouvait l’être à l’époque des rencontres dans les bureaux. Un étudiant qui nous envoie un courriel agressif, c’est certain qu’il ne l’exprimera pas du tout de la même façon en personne.»
Courriels insistants, messages agressifs et répétés, évaluations négatives sur les sites spécialisés... La cyberintimidation peut prendre plusieurs formes entre les mains de jeunes pour qui les communications électroniques n’ont plus de secret.
Ismaïl Biskri cite l’exemple du site Rate My Teacher. Il existe un site Rate My Teacher UQTR où plusieurs professeurs de cet établissement sont pris à partie. Des internautes critiquent le professeur de leur choix sous le couvert de l’anonymat le plus complet en y allant de commentaires parfois très élogieux envers leur façon d’enseigner, mais souvent très désobligeants, subjectifs et nuisibles aussi.
Le professeur Biskri raconte également qu’avant, les évaluations de professeurs administrées par l’Université se faisaient sur papier par les étudiants. Un représentant de l’Université se présentait en classe et les étudiants devaient répondre à une série d’énoncés par un chiffre indiquant s’ils étaient d’accord ou en désaccord avec ces énoncés. Depuis quelque temps, la même évaluation se fait par le biais d’un formulaire électronique administré également par l’Université, dit-il. «Il y a une partie chiffrée, mais il y a une autre partie où les étudiants peuvent formuler des commentaires», dit-il. Le professeur Biskri a vu certains de ces commentaires et les considère carrément «déplacés».
Fort heureusement, une politique encadre tout ça à l’UQTR, dit-il. «Quand on dépasse les limites, la loi peut lever l’anonymat s’il y a des atteintes à l’orientation sexuelle, la religion, l’origine ethnique, le genre, etc.», illustre-t-il. Or, les étudiants n’en sont pas tous conscients.
Évidemment, tout cela n’est pas sur la place publique autant que dans les réseaux sociaux, «mais nous avons des collègues qui peuvent accéder à ce genre de documents, ça peut être au niveau de certains comités institutionnels, par exemple, le comité de promotion», signale-t-il «Ça peut porter préjudice à la carrière d’un professeur», fait valoir le professeur Biskri.
Fréquemment, il s’agira d’étudiants dont le comportement est tout à fait correct en classe, mais qui, sous le coup de l’émotion ou de la colère, déverseront tout leur fiel dans un message dont ils ne mesurent peut-être pas toute la portée.
«Le professeur peut se poser des questions», a dit M. Villeneuve. «Ça peut entraîner des problèmes d’estime de soi (...). On peut (se remettre en question). Qu’est-ce que j’ai fait de mal en classe? Qu’est-ce que j’ai dit qui a été mal perçu? C’est plutôt rare ce genre de chose, mais parfois c’est la virulence et ça nous marque... Ça nous demande de l’énergie pour réussir à résoudre le problème et ça laisse des traces. Ce sont des écrits qui restent, donc il faut être très prudent dans notre façon de nous adresser (aux étudiants).»
En matière de cyberintimidation, «je pense que la problématique n’est pas suffisamment connue et documentée», estime de son côté Ismaïl Biskri qui voit d’un très bon œil cette étude amorcée par le professeur Villeneuve face à un phénomène de société relativement nouveau.