L’auteur, Jean-Sébastien Fallu, est professeur agrégé à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal. Il réagit ici à la lettre de M. Frankie Bernèche intitulée «L’acceptabilité sociale du cannabis», publiée dans notre édition du 30 octobre dernier.
J’apprécie l’intention de faire évoluer le débat. À mes yeux, au-delà d’une déformation de mes propos et de la réalité, deux éléments se dégagent de cette lettre:
1) une remise en question des études sur lesquelles s’appuient mes interventions;
2) des estimations populationnelles, sans contextualisation, qui ne tiennent pas la route et qui nient l’expertise actuelle en santé publique au Québec, au Canada et à l’international.
D’abord, je n’ai jamais dit que l’acceptabilité sociale du cannabis devait se faire «sans réserve», mais au contraire, qu’il ne fallait pas banaliser ni glorifier son usage. Ensuite, au sujet de la plus grande toxicité de l’alcool, M. Bernèche répond «aucune» à la question «Quelles sont les études à long terme qui viennent valider cette position?», alors que la réponse est: «plusieurs». En effet, une littérature abondante sur le sujet existe. Voir particulièrement les travaux phares de David Nutt. M. Bernèche affirme ensuite que le cannabis est une «drogue […] nocive sur le plan de la santé». Soit, même si ce n’est pas si simple, mais c’est une substance largement consommée et la prohibition n’a non seulement pas empêché cet état de fait et son accessibilité, mais elle est aussi nocive, et ce, bien plus que le cannabis lui-même.
D’autre part, même si cela déborde mon propos et mon expertise, M. Bernèche affirme que la légalisation du cannabis et la Loi sur la protection de la jeunesse sont «conflictuelles» vu l’exposition éventuelle des enfants à la fumée secondaire du cannabis, qui constituerait une forme de négligence parentale. Suivant cette logique, il faudrait accuser de négligence les parents qui fument la cigarette. Pourtant, ce n’est pas la consommation de substances qui est déterminante pour évaluer le risque, mais bien les comportements des parents et les dispositions qu’ils prennent pour justement éviter de mettre le développement des enfants à risque de compromission.
L’auteur se présente comme compétent en méthodes de recherche. J’en conclus que ce qui lui manque, ce sont principalement des sources fiables et une vision synthétique. En voici quelques-unes: Le rapport des National Academies of Science, Engineering and Medicine et ceux de la Commission globale sur les politiques de drogue. Les mémoires de l’Institut national de santé publique du Québec, de la Direction régionale de santé publique de Montréal et de l’Institut universitaire sur les dépendances au sujet du projet de loi 157. Du côté scientifique, Drug policy and the public good de Babor et coll. (2010), Lower-risk cannabis use guidelines de Fischer et coll. (2017) ainsi que l’éditorial du British Medical Journal (2018), Drugs Should be Legalized, Regulated, and Taxed.
En prenant connaissance des études de qualité, M. Bernèche verrait que celles-ci ne montrent pas d’impacts sur le cerveau, mais les suggèrent. Il verrait aussi que la relation entre le cannabis et la santé mentale est éminemment complexe. Les statistiques qu’il nous présente ne renseignent d’ailleurs aucunement sur une présumée relation causale. Par exemple, le TDAH n’est pas conçu comme une conséquence de la consommation de cannabis, mais comme un facteur prédisposant à une consommation chronique. Aussi, le THC peut effectivement produire des symptômes anxieux, sans nécessairement déclencher un trouble anxieux, mais une automédication des symptômes ou d’un trouble d’anxiété est fréquente. Les récentes recensions et consensus d’experts montrent d’ailleurs que le cannabis serait très peu en cause dans le développement d’un trouble d’anxiété, sauf pour exacerber les symptômes d’un trouble déjà présent. La légalisation pourrait d’ailleurs être positive à cet égard en donnant accès à du cannabis à moins forte teneur en THC et contenant du CBD, de mieux en mieux connu pour ses propriétés anxiolytiques.
Comme l’auteur nous le rappelle, ce n’est pas le fait d’une intervention médiatique qui nous positionne comme expert, ce sont, entre autres, les études qui appuient nos interventions et la pertinence de nos arguments.