J’ai mal à mon Éducation...

Les auteurs de ce texte, tous des professeurs au Département des Sciences de l’éducation à l’UQTR, proposent une réflexion sur la nécessité de valoriser l’ensemble du système d’éducation québécois, de la petite enfance à l’université.

Les auteurs sont professeurs du Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières.


Créé dans l’effervescence de la Révolution tranquille, le système d’éducation québécois vise depuis 50 ans à faire de l’éducation la voie par excellence de l’émancipation individuelle et collective. Toutefois, par diverses pressions et coupures exercées à tous les niveaux du système, l’éducation est de plus en plus conçue comme un bien de consommation et les établissements d’éducation comme des entreprises. En voici quelques exemples.

Les services éducatifs à la petite enfance sont mis à mal par des politiques gouvernementales qui sabrent dans leur financement, misent sur la prolifération des places au secteur privé et semblent reposer sur un développement improvisé. Les conditions de travail difficiles et le manque de reconnaissance de nos collègues éducatrices, dont plusieurs sont actuellement en négociation, font tristement la manchette des journaux.



Le sous-financement des écoles publiques primaires et secondaires québécoises contribue à provoquer une compétition entre les établissements, qui sont contraints d’user de stratégies pour maintenir «leur clientèle». Avec un système d’éducation inéquitable à trois vitesses – le réseau privé (financé à environ 60 % par le gouvernement), les écoles publiques à projet particulier et les classes régulières –, les élèves sont les victimes de plusieurs formes de tri social alors qu’ils fréquentent des écoles différentes selon le revenu de leurs parents ou leurs niveaux de performance.

Alors que le réseau collégial a été conçu pour être un lieu de culture et d’orientation pour les étudiants, il est de plus en plus remis en question et centré sur la production de diplômes afin de rencontrer les exigences du marché du travail, ce qui l’éloigne de sa mission fondamentale. Les taux de réussite sont devenus les principaux indicateurs de qualité, engendrant ainsi une dégradation des conditions de travail des enseignants et une grande pression de performance vécue par les étudiants.

Quant à l’université, sa mission est mise en danger par une vision à courte vue, trop souvent basée sur des impératifs financiers visant à démontrer une «saine gestion». La toute récente Politique québécoise de financement des universités poursuit dans cette même lignée: le mode de financement des universités demeure fondé sur le nombre d’étudiants, ce qui place les universités en concurrence les unes par rapport aux autres. Elles n’ont d’autres choix que de se lancer dans le déploiement d’infrastructures physiques coûteuses et de campus virtuels, dont les effets sur la qualité de l’enseignement ont été peu documentés, afin d’augmenter leur «clientèle». En outre, les «nouveaux budgets» promis dans cette politique, que l’on qualifie faussement de réinvestissement, le seront conditionnellement à l’atteinte de cibles fixées par le gouvernement. Cette reddition de compte est pourtant reconnue pour exercer une pression indue sur les secteurs publics et parapublics.

Un système d’éducation mis à mal
Ces zones de vulnérabilité du système éducatif québécois ne sont pas étrangères à l’avènement de logiques managériales, qui semblent une voie de plus en plus privilégiée pour réguler les décisions, les actions et les relations en éducation. Ces logiques, déjà à l’œuvre dans la concurrence public-privé, dans la pression à la performance des élèves et des écoles, dans les pratiques de gestion et de reddition de compte, semblent maintenant se propager dans la façon dont s’établissent les relations de travail en éducation, et ce, à tous les niveaux. En effet, le lockout décrété par l’administration de l’UQTR le 2 mai dernier, de même que l’annonce de sa levée conditionnelle à l’obtention d’une entente négociée d’ici la fin de la session parlementaire, reflète une conception technocratique des rapports éducatifs.



Nous sommes convaincus que la recherche de la performance comptable coûte plus cher qu’elle ne rapporte en termes sociaux. Nous estimons qu’un débat de société est nécessaire afin que les enjeux relatifs à l’éducation soient mieux connus et débattus. D’ailleurs différentes initiatives issues de la société civile se font entendre pour réclamer une éducation plus équitable.

Nous appelons nos collègues des autres universités, les acteurs éducatifs et les partis politiques à contribuer à la réflexion et à l’action pour valoriser l’ensemble du système d’éducation québécois, de la petite enfance à l’université. Il s’agit d’un legs de la Révolution tranquille qui, selon nous, est malheureusement en train de nous échapper collectivement…

Geneviève Bergeron, Léna Bergeron

Corina Borri-Anadon, Félix Bouvier

Priscilla Boyer, Claude Gendron

Nancy Goyette, Audrey Groleau



Sivane Hirsch , Christine Lebel

Marie-Claude Larouche, Alain Huot

Vincent Martin, Jean-Marie Miron

Sylvie Ouellet, Ghyslain Parent

Mathieu Point, Liliane Portelance

Luc Prud’homme, Nadia Rousseau

Lise-Anne St-Vincent