Alzheimer: directives et volontés anticipées

Le débat sur l'aide médicale à mourir risque de se rouvrir, notamment pour inclure le consentement donné préalablement à une maladie cognitive dégénérative. La directrice de Carpe Diem s'exprime sur le sujet.

L'auteure, Nicole Poirier, est directrice générale de Carpe Diem - Centre de ressources Alzheimer à Trois-Rivières.


Le débat sur l'aide médicale à mourir pour les personnes qui vivent avec la maladie d'Alzheimer a refait surface. Il faudrait avant tout s'intéresser aux motivations qui incitent les gens à réclamer cette option.

Est-ce la maladie qui fait peur ou la perspective de conditions de vie inacceptables? Est-ce la maladie que l'on craint ou la peur de devenir un fardeau, une charge pour nos proches?

Si la société offrait de meilleures perspectives de vie, aurait-on le même débat sur la fin de vie?

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Voici mes directives et volontés anticipées, si un jour j'apprends que j'ai la maladie d'Alzheimer et que je me retrouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes:

- lorsque je serai enfermée dans une unité, entourée de plusieurs personnes qui, comme moi, réclameront en vain le droit de sortir à l'extérieur, et qu'on m'obligera à porter un bracelet «anti-fugue» ou que je serai cloitrée derrière une demi-porte;

- lorsqu'on me limitera à un bain par semaine, en m'expliquant que «c'est la norme»;

-  lorsque mes repas seront une course contre la montre, pour respecter le rythme du système, au détriment de mon propre rythme;

- lorsque je serai privée de mon droit fondamental d'aller aux toilettes et que je tenterai d'y aller par moi-même, faisant de moi une résidente «qui n'écoute pas», «à risque de chute» ou pire, «une chuteuse»;

- lorsqu'on parlera de moi et devant moi, comme si je n'étais pas là, qu'on décide que je n'existe plus parce que je ne trouve plus les mots et que le lit que j'occupe coûte trop cher;

- lorsqu'on traduira mes appels à l'aide, mon incompréhension, mon impatience et ma révolte comme «un trouble agressif ou un comportement perturbateur»;

- lorsqu'on me donnera des médicaments pour que je reste assise ou pour que je dorme, plutôt que de me comprendre, me rassurer et m'accompagner;

- lorsqu'on me parlera comme à un enfant de deux ans, à grand coup de «ma chérie», «ma belle» et «ma petite madame»;

- lorsqu'on réglera ma vie sur les besoins d'une routine institutionnelle, avec des heures rigides de lever-coucher-toilette-repas;

- lorsqu'on me fera porter des vêtements que je n'aime pas, qu'on décidera que mon rouge à lèvres, mon maquillage et le respect de ma coiffure sont des caprices ou des privilèges;

- lorsque mes enfants tenteront en vain de faire respecter mes droits, de tenir compte de mes habitudes, de ma personnalité, de mes besoins et qu'ils se feront dire qu'ils n'acceptent pas la maladie et qu'ils devraient aller consulter un psychologue pour soigner leur déni;

- lorsqu'on me laissera tremper dans ma protection pendant des heures, en expliquant à mes enfants que «c'est fabriqué pour durer huit heures»;

- lorsque mes enfants et amis seront désespérés de ne pas être entendus, soutenus et accompagnés;

- lorsqu'ils vivront la culpabilité de me savoir dans des conditions inacceptables, qu'ils sentiront leurs vies «entre parenthèses», ou qu'ils auront l'impression de m'abandonner;

- lorsqu'on ne verra plus la personne que je suis, mais seulement la maladie qui m'habite;

- lorsqu'à ce moment-là, aucun élu et décideur ne se lèvera pour défendre la valeur intrinsèque de ma vie.

Alors, dans l'éventualité où une ou plusieurs des conditions ci-haut mentionnées sont réunies, c'est en toute connaissance de cause, et de façon libre et éclairée, que je donne mon consentement pour qu'on autorise l'aide médicale à mourir et qu'on mette ainsi fin à mes jours.