Dans un cri du coeur, ils déplorent que les patients n'aient pratiquement plus le droit à la dignité et qu'on les traite comme si on travaillait dans une chaîne de production d'une usine.
Finie l'époque où les employés prenaient le temps de laver, tranquillement, les patients. Maintenant, les préposés utilisent la méthode des 3F, soit «fesses, face, fuck le reste», comme on peut le lire dans une lettre de M. Donaldson intitulée La dignité humaine en péril dans les CHSLD.
Dans cette lettre, on y apprend notamment la routine matinale pour le déjeuner.
«À sept heures, deux préposés aux bénéficiaires à la fois, on entre dans la chambre des résidents, on les réveille, on leur lave les fesses, on les habille du bas seulement, on les assoit dans une chaise roulante en jaquette. On les met dans le corridor. Tout le monde passe au cash. Ensuite, on les amène à la salle à manger. Ceux qui ne mangent pas assez vite, un préposé s'en occupe: il en fait manger plusieurs à la fois. Imaginez un instant la scène: être obligé de manger en groupe en vêtement de nuit pour le haut, sans que la toilette du matin soit terminée», peut-on y lire.
Cette situation fait rager Yves Donaldson.
«On travaille comme dans une chaîne de production. On n'est pas supposés de faire ça. Je n'ai jamais appris ça nulle part à laver des résidents en série», dénonce le préposé.
Réveil forcé
Mme Frigon, qui travaille au Centre Saint-Joseph, trouve quant à elle bien désolant que les résidents n'aient plus beaucoup de pouvoir sur le déroulement de leur journée.
«Parfois, des patients veulent dormir le matin. On doit quand même aller les réveiller et ils viennent alors hors d'eux-mêmes, dont un en particulier. Ils (la direction) ont donc décidé de demander aux médecins de prescrire des médicaments pour le calmer. Pourtant, le monsieur veut simplement dormir. C'est ridicule. Les résidents en ont déjà assez de pilules à prendre», raconte-t-elle.
«Ceux qui ne sont plus capables de manger, est-ce qu'on peut les faire manger comme dans le temps, dans leur chambre?, suggère pour sa part M. Donaldson, plutôt que de les faire manger à la chaîne dans la cafétéria, avec l'aide du préposé».
Par ailleurs, ce n'est pas la première fois que M. Donaldson dénonce la piètre qualité des soins dans les CHSLD. En 2004, dans les pages du Nouvelliste, il déplorait que tout se faisait «rapido-presto et ensuite au suivant».
À la lumière de ses propos, sept ans plus tard, la situation ne semble pas s'être améliorée. «La situation s'est aggravée», note-t-il.
«En tant que société, il est temps de se poser des questions à savoir qu'est-ce qu'on veut. Voulez-vous qu'on traite votre père ou votre mère en les lavant en deux bouts ou plutôt qu'on les traite plus dignement?», demande M. Donaldson.
Depuis plus d'une semaine, ce dernier fait circuler une pétition dans les différents établissements du Centre de santé et de services sociaux de Trois-Rivières afin que les employés puissent manifester leur mécontentement face à la situation. Jusqu'à présent, quelques dizaines de personnes ont déjà apposé leur signature au bas de cette pétition.
Par la suite, les deux employés exaspérés souhaitent avoir un entretien avec un représentant du ministère de la Santé afin d'exposer leur point de vue. Ils ont d'ailleurs contacté la députée Danielle Saint-Amand à cet effet et espèrent que leurs démarches rapporteront les résultats escomptés.
Tourner les coins ronds
Si les théories émises par la direction mentionnent que les préposés doivent «mettre l'emphase sur la chaleur humaine» lors du traitement des patients, la réalité est fort différente sur le terrain.
À ce sujet, Johanne Frigon, invite ses supérieurs à venir passer une journée dans les corridors des différents établissements.
«Mon souhait le plus cher serait de montrer aux dirigeants ce à quoi nous sommes confrontés. Pour qu'ils voient ce qui se passe à tous les matins, jour après jour, et qu'on n'a pas le choix de faire vivre à ces personnes âgées», exprime l'employée du Centre Saint-Joseph.
«Selon le Ministère, chaque résident a droit à un peu plus de trois heures de services par jour, mais ce n'est pas du tout le cas...», ajoute Mme Frigon.
Manque de personnel
Parmi les raisons expliquant la détérioration de la qualité des soins, il y a le manque de personnel, entre autres.
«On a demandé d'avoir une personne de plus le soir, car on manquait de personnel. Ils ont répondu qu'il n'y avait pas d'argent pour ça. Quelques temps plus tard, ils ont mis un cadre de soir, pour gérer les plaintes. En bout de ligne, ce cadre passait les pilules et couchait les résidents, car c'est pour ces tâches qu'il manque quelqu'un», ironise Yves Donaldson.
La situation n'est pas plus rose du côté du Centre Saint-Joseph.
«Sur mon étage, on est cinq préposés et on est déjà à la course. En septembre, ça va tomber à quatre. Sur le nombre de résidents, certains ont des besoins particuliers. Tu ne peux pas arriver. Il faut que tu tournes les coins ronds, sinon ça met tout le monde en retard en raison du système qui fonctionne en vrak», mentionne Mme Frigon.
La direction se défend
Mise au parfum de la sortie publique de deux préposés aux bénéficiaires, la direction des centres d'hébergement en soins de longue durée s'est défendue d'offrir des services nuisant à la dignité des résidents.
En entrevue au Nouvelliste, Denise Dupont, directrice de l'hébergement au Centre de santé et services sociaux de Trois-Rivières, a tenu à rappeler que sa division a obtenu la note de 98 % de la part d'Agrément Canada lors d'une récente évaluation.
«Les visites ministérielles ont fait des éloges à nos milieux d'hébergement, tout comme le conseil d'Agrément Canada. Au cours de ces visites, ça a ressorti comme étant un milieu très approprié, affectueux, chaleureux et accueillant. Le personnel en est très fier et nos résidents y sont heureux aussi», mentionne Mme Dupont, qui a tenu une rencontre «assez brève» avec Yves Donaldson au sujet de ses critiques.
Cette dernière soutient que la nouvelle méthode de déjeuner «en vrak», qui diffère de l'ancienne méthode du plateau individuel apporté à la chambre, permet aux résidents de se sentir davantage comme dans un véritable milieu de vie.
«Le Ministère nous demande de créer un milieu de vie qui se rapproche le plus possible du domicile et nous suggère également de créer des salles à dîner. On se doit de faire maintenant une activité-repas. De cette façon, le résident choisit au moment présent ce qu'il veut manger tandis qu'avec la méthode du plateau, tout était fait d'avance», explique Mme Dupont, tout en réfutant le fait que des patients soient obligés de se lever le matin, contre leur gré, pour aller manger.
Quant à la toilette rapide des résidents, où on ne leur lave que la face et les fesses selon Yves Donaldson et Johanne Frigon, Mme Dupont soutient que les soins d'hygiène demeurent adéquats. «Rien ne change avec la méthode en vrak pour les soins d'hygiène partiels, à tous les matins. Évidemment, le soin va différer selon les besoins des résidents», clame-t-elle, ajoutant que tout se fait de la même façon ailleurs au Québec.
Formation
La directrice de l'hébergement au CSSS de Trois-Rivières reconnaît toutefois qu'il est normal que certains employés aient des appréhensions vis-à-vis la nouvelle méthode de travail.
«De façon habituelle, un changement apporte une inquiétude, et c'est normal. Il s'agit d'une adaptation pour nos équipes de soins, d'où l'importance de donner de la formation aux employés», note-t-elle.
Par ailleurs, cette routine de travail «en vrak» s'est installée progressivement dans les différents milieux de Trois-Rivières depuis 2005.
Présentement, la moitié des quelque 700 employés des CHSLD de Trois-Rivières travaillent avec la nouvelle méthode «en vrak», soit à la Résidence Cooke, au Centre Cloutier-du-Rivage et au Centre Saint-Joseph. À compter de l'automne, ce total atteindra 79 % des employés avec l'ajout de la nouvelle Résidence Roland-Leclerc (site de l'Hôpital Cooke).