Avant le début de la décennie, il n'aurait jamais été question pour la famille Bezeau-Mendonça, alors installée à Brossard, de posséder une quelconque embarcation, Sofia n'ayant jamais daigné s'intéresser au monde marin dans lequel était plongée sa famille.
Or, son père Migo, une véritable encyclopédie maritime, n'avait pas dit son dernier mot, lorsqu'il a encouragé sa petite-fille Joana à prendre des cours de navigation. L'idée de construire un dériveur dans leur garage avait même été lancée.
Cet ouvrage a toutefois été mis sur la glace peu de temps après, lors du décès de Migo. Mais tout n'allait pas s'arrêter là, puisque la petite famille a fait ni plus ni moins l'acquisition d'un voilier de 33 pieds.
Dès lors, Patrick et Sofia faisaient part à leurs enfants et leurs proches de leur intention de partir au large, selon le principe de la carte blanche. Et un beau jour, la décision a été prise: «Aussitôt qu'on a mis la date, c'était comme un engrenage qui venait de partir.»
Deux années intenses de préparatifs ont précédé leur départ en septembre 2007. Déménagement dans une plus petite propriété, vente de garage, chasse aux aubaines guidée par les coupons rabais. Patrick, mécanicien, et Sofia, préposée aux guichets, ont fait plusieurs sacrifices pour se permettre un tel voyage.
«Mais on ne s'est jamais empêchés de vivre, prend le soin de préciser Sofia. On avait un peu l'impression que la vie nous filait entre les doigts. Les enfants grandissaient et on les voyait à peine. On voulait vraiment que ce soit 100 % famille», explique la trentenaire d'origine mozambicaine et portugaise.
Patrick cite aussi la surconsommation ambiante parmi les raisons qui les ont poussé à tout vendre (ou presque). «T'es tellement sollicité que tu tournes en rond. On a décroché et on a arrêté de consommer. Si on achetait quelque chose, c'est parce qu'on en avait besoin sur le bateau.»
Leurs économies leur ont permis de dégoter un plus grand voilier, le Migo, et ultimement, de mettre les voiles vers la côte est américaine. «Au début, on voyait un cormoran et on était émerveillés. On respirait et on avait l'impression de revivre», relatent-ils, sourire aux lèvres.
Leurs souvenirs se bousculent au portillon: la cour arrière qui se transforme au gré des destinations, les amitiés forgées tant avec d'autres voyageurs qu'avec des peuples indigènes insulaires qui viennent de découvrir le dollar, la bonne étoile toujours là au bon moment, qui est probablement derrière la chirurgie qu'a pu avoir Patrick en cinq minutes à l'autre bout du monde, un certain 25 décembre.
Joana et Jonatan, qui avaient respectivement 13 et 10 ans aux premiers miles du voyage, sont fiers d'avoir réussi à harmoniser leurs études à l'aventure, alors qu'ils faisaient leurs devoirs chaque matin, quand la navigation le permettait.
Plus souvent amarrés qu'en mouvement, les globe-trotters ont vécu leurs moments les plus difficiles dans les grandes traversées, la plus longue ayant duré quatre jours. Ils se souviennent d'une nuit particulièrement mouvementée en direction du Nicaragua, quand Sofia, projetée par la force d'une vague, s'était frappée la tête dans la cuisine du voilier.
«Peu importe comment tu te fais brasser, à la fin tu jettes l'ancre et tu te dis que si c'est ça, le prix à payer pour (vivre son rêve), c'est correct», relativise Patrick. «On a toujours tendance à aller vers la béquille qui nous sécurise, mais il faut se faire confiance.»
«Tout le monde peut faire ça», répètent-ils pendant l'entretien. «Parce que ce sont les rêves qui nous gardent en vie.»
En attendant le prochain départ
Ayant vécu sans notion du temps ni planification pendant trois ans, Patrick, Sofia, Joana et Jonatan étaient mûrs pour rentrer au bercail. Quitte à changer de port d'attache.
Premier constat à leur arrivée à Trois-Rivières: «On se sentait comme des extra-terrestres.» Le deuxième a été le choc de renouer avec le coût de la vie qu'ils avaient mis derrière eux.
Leur retour n'a donc pas été de tout repos, d'autant plus qu'il leur fallait trouver un endroit où poser Migo, tout en recherchant la maison de campagne de leurs rêves.
Serge Massé, de Trois-Rivières, qui suivait assidûment leur périple sur leur blogue (migo.ca), les a invités à venir ancrer leur bateau dans la rivière Saint-Maurice, au pied du pont Duplessis.
De fil en aiguille, ils ont pu s'installer quelques semaines dans l'ancienne usine de pompage de la ville, convertie depuis quelques années en demeure cossue, le temps de trouver la perle rare. En l'occurrence, une maison centenaire à Saint-Wenceslas.
«On voulait avoir de l'espace et une maison à refaire. On n'aurait rien changé si on était retourné (sur la rive sud de Montréal). On essaie de prolonger ce qu'on faisait sur le bateau», expliquent-ils.
Et comme le dit Sofia, la porte de sortie est toujours prête. La famille a déjà en tête de larguer les amarres en direction des Bahamas dans quatre ou cinq ans, pendant tout un hiver.
D'ici là, ils apprivoisent leur nouvelle région et leur «célébrité». À l'épicerie, au club vidéo ou au magasin, les Bezeau-Mendonça sont souvent reconnus par les fidèles de leur site Internet. «On ne s'attendait pas à ça. C'est à sens unique, parce qu'on ne connaît pas les gens. Mais ça nous a permis de faire de belles rencontres», partagent amusés Patrick et Sofia.
Inspirés par le modèle entrepreneurial antillais, ils roulent leur bosse avec leur compagnie familiale Voile-Vacances Migo, qui vise à initier les gens à la voile. Un projet de récit de voyage est également en gestation, pour une possible parution à l'hiver.
«Quand on peut faire rêver les gens, notre mission est accomplie», résume Joana.