Savoura n'était pas prête à brûler du biogaz

La question des équipements a été au coeur des problèmes de livraison du biogaz.

Une équipe qui manquait d'expérience et qui était mal encadrée, des appareils inappropriés pour brûler du biogaz, des équipements de sécurité inexistants et des instruments de mesures mal compris. Voilà en résumé l'état de la situation aux installations des Serres du Saint-Laurent (SSL) à Saint-Étienne-des-Grès alors que, fin prête, la Régie de gestion des matières résiduelles de la Mauricie tentait d'effectuer ses premières livraisons de biogaz chez le producteur des tomates Savoura, en 2008 et 2009.


C'est ce qu'est venu raconter à la cour, hier, l'expert de la Régie, Michel Ruel. L'ingénieur, spécialisé en contrôle de procédés, est demeuré à la barre des témoins toute la journée pour expliquer que les serres n'étaient tout simplement pas prêtes à brûler du biogaz, au moment des premières tentatives. Selon lui, SSL ne disposait même pas de chaudières adaptées à la combustion du biogaz.

Selon M. Ruel, les spécifications employées par SSL pour commander ses brûleurs à la compagnie Dalkia tenaient sur une feuille. On pouvait y lire le résumé d'une analyse effectuée par la firme Pluritec en 2005. Cette feuille avait été faxée à l'ancien président de SSL, Jacques Gosselin par Robert Comeau, alors directeur de la Régie. On pouvait y lire que des mesures de concentration en méthane dans le biogaz avaient été prises à partir d'échantillons prélevés à la torchère de la Régie. Ce jour-là, les concentrations en méthane se situaient entre 50,9 % et 51,8 %.



Se basant sur ces données, explique M. Ruel, Dalkia a donc choisi pour Savoura des brûleurs adaptés pour ce niveau de concentration en méthane. Le manuel d'emploi fourni avec les brûleurs confirme d'ailleurs ce fait. Or, la teneur en méthane du champ gazier de la Régie est bien inférieure à ces pourcentages et se situe plutôt en moyenne à 40 %, un chiffre qui figure d'ailleurs à l'entente liant les deux parties.

«Ces équipements étaient donc inappropriés pour brûler du biogaz selon l'annexe C de l'entente», résume M. Ruel qui se demande si Dalkia était au courant de ces spécifications de l'entente.

«Si le fournisseur avait obtenu les clauses de l'entente, il aurait sélectionné des équipements avec une marge de sécurité», a plaidé l'ingénieur.

Michel Ruel a rappelé avoir «eu un choc» lorsqu'il est entré pour la première fois dans les installations de Savoura à Saint-Étienne-des-Grès en voyant jusqu'à quel point «les chaudières étaient peu instrumentées».



Sa première surprise, raconte-t-il, c'est qu'il n'y avait aucun instrument de mesure chez SSL. Au minimum, dit-il, il aurait dû y avoir un manomètre au point d'entrée de livraison du biogaz. Il n'y avait même pas d'analyseur d'oxygène à la chaudière, renchérit-il.

Alors que le manuel du manufacturier recommandait aussi l'installation d'un analyseur de méthane, SSL n'en avait pas. Or, ajoute l'expert, «les brûleurs sont particulièrement fragiles aux concentrations de méthane. Raison de plus pour avoir un analyseur», estime-t-il.

 

Il manquait de gros morceaux

Invité par l'avocat André Lemay, en janvier 2009, dans le cadre d'une médiation entre les Serres du Saint-Laurent (SSL) et la Régie de gestion des matières résiduelles de la Mauricie à titre d'expert en contrôle de procédés, l'ingénieur Michel Ruel s'est vite rendu compte que «les deux parties se parlaient assez peu, somme toute».

«Mon mandat était simple», a-t-il expliqué à la cour hier. «Tu collabores, tu trouves des solutions, tu ne grattes pas le passé, tu regardes vers l'avenir.»



Or, non seulement s'est-il heurté, en partant, à un manque flagrant de dialogue entre les deux parties, mais il a aussi découvert que «chaque côté ne comprenait pas ce que l'autre faisait, ce qui était faisable et n'était pas faisable», a-t-il raconté au juge Édouard Martin.

D'une part, a-t-il expliqué, on était là pour faire pousser des tomates. De l'autre, on avait du gaz et les autres n'avaient qu'à le prendre.

C'est donc dans ce contexte difficile que M. Ruel amorce son mandat. Il goûtera d'ailleurs de première main à ces problèmes de communication. «Quand on a demandé les spécifications des brûleurs, on n'a rien reçu», illustre-t-il.

Des problèmes avec les chaudières avaient occasionné plusieurs explosions dans les serres, rappelons-le, occasionnant du même coup un interdit de brûler du biogaz imposé par la Régie du bâtiment du Québec. Or, il s'est écoulé plusieurs mois avant que M. Ruel puisse finalement accéder aux rapports rédigés par SSL au sujet de ces explosions. «On nous avait dit qu'ils n'existaient pas», raconte-t-il.

Dès le début, en matière de biogaz,  SSL se percevait comme une cliente, analyse M. Ruel. Cette perception se reflète dans le fait qu'elle n'installe aucun instrument de mesure dans ses serres. «Au niveau des équipements du côté de SSL, il manquait de gros morceaux et le système de contrôle n'est pas très sophistiqué», a-t-il relaté au juge.

«On a fait des recommandations qui, somme toute, ont été appliquées», ajoute M. Ruel.

En fait, SSL a investi quelque 300 000 $ dans de nouveaux équipements par la suite. Cet investissement permet alors à la RBQ de lever l'interdit de brûler. SSL et la Régie n'en étaient pas au bout de leurs peines pour autant.

SSL installe en effet un manomètre pour mesurer la pression de biogaz qui arrive dans ses serres, mais ce manomètre n'étant pas situé au point de livraison, les données qu'il indique sont influencées par des filtres du système et ne sont pas justes. Tout au long du démarrage des nouveaux équipements, SSL se plaint donc que la pression n'est pas assez forte par rapport à l'entente signée entre les deux parties.

L'expert en brûlage embauché par Savoura procède donc constamment à de nouvelles modifications du système et crée du même coup des problèmes de fluctuations sans se rendre compte que son système comporte un régulateur de pression. S'il avait compris qu'il y avait un régulateur de pression dans le système, plaide Michel Ruel, le démarrage aurait été plus aisé. «Toute la difficulté était là», dit-il.