Il était une fois un couple comme bien d'autres: les deux travaillent, ont une charmante petite fille, un bon réseau social. Ils sont les propriétaires d'une maison à Nicolet et ont des factures à payer.
Le 16 mars 2000, leur existence jusque-là paisible a basculé. À 9 h 15, un accident de la route est survenu, faisant huit morts. La chaussée glissante est en cause. Les victimes sont tous des enfants. Ils prenaient place à bord d'une camionnette conduite par Jeanne Auger, leur éducatrice. «Je me rappelle encore de son euphorie ce matin-là. Frédérike (4 ans et neuf mois) s'en allait à la cabane à sucre avec ses amis de la garderie. Elle était tellement heureuse. Je la vois encore dans sa chambre, écoutant du Isabelle Boulay en dansant», se rappelle Nika, sa maman.
C'était un matin comme les autres sauf que le baiser, le regard chargé de tendresse et le «passe une bonne journée ma chérie» ont été les derniers. Dans la tête des parents, la suite des événements est un peu floue. «Dans la matinée, ma soeur m'a appelé pour me dire que Jeanne avait eu un accident. Je ne me souviens plus de ses autres paroles. J'ai raccroché et j'ai commencé à frapper dans les murs. À ce moment-là, je ne savais même pas encore qu'elle était morte», a raconté André Fournier, le papa.
Quelques minutes plus tard, il arrive à l'hôpital Saint-Joseph. Sa femme s'y trouve également. Dans l'établissement, c'est la pagaille complète. Les parents des enfants se pointent tous un après l'autre, en panique, et le personnel médical en a plein les bras, confronté à la pire tragédie de l'histoire de la région.
Partout, c'est l'état de choc, l'incompréhension. «On ne savait rien. On a fini par apprendre que Frédérike était au bloc opératoire et luttait pour sa vie. C'est finalement à 14 h 30 qu'un médecin nous a appris la nouvelle en nous lançant un ''mes sympathies'', se rappelle André Fournier.
Les parents ont eu le souffle coupé et sont alors tombés dans une sorte de torpeur.
«Le réveil du lendemain matin a été atroce, surtout quand tu réalises que tu n'as pas rêvé. Je suis allée dans sa chambre et c'était vide. C'est épouvantable de savoir que tu ne pourras plus jamais prendre ton enfant dans tes bras, sentir sa chaleur contre soi», se rappelle Nika, les larmes aux yeux.
Ont suivi des funérailles très douloureuses. «Moi, tout ce que je voulais était acheter des robes et des jouets à ma petite fille. Mais, un matin, j'ai dû lui choisir le plus beau petit pot qui soit: une urne», ajoute-t-elle.
Pour le papa, la vie était soudainement balayée. «Tout est tombé, tout est devenu injuste. C'était contre l'ordre normal des choses que d'enterrer son enfant. Notre rôle est plutôt de les protéger, de les réconforter. La mort a dès lors fait partie de mon quotidien pendant plusieurs années. Combien de fois j'ai souhaité être à la place de Frédérike?» confie-t-il.
Au début, Nika se rappelle même en avoir voulu à Jeanne Auger. «Ça n'a pas duré longtemps. Un accident, c'est tellement bête. Dans pareils cas, il n'y a pas de coupable. Malheureusement, c'est elle qui conduisait et c'est elle qui doit maintenant vivre avec ça à chaque jour», mentionne-t-elle.
André a lui aussi éprouvé de la colère mais elle s'est vite atténuée. «Cela aurait pu arriver à n'importe qui. Jeanne a vécu la mort non pas une seule fois avec la perte de son propre enfant mais elle l'a vécu huit fois. Il ne faut pas oublier que ces enfants-là, elle les aimait», précise-t-il.