Ils étaient dix enfants, assis dans une camionnette conduite par leur éducatrice Jeanne Auger. Ils s'en allaient prendre un autobus qui les conduirait à la cabane à sucre. Un peu à la dernière minute ce matin-là, un parent accompagnateur s'est désisté. L'éducatrice a bien tenté de trouver quelqu'un d'autre pour emmener les enfants mais le temps lui a manqué.
Les dix enfants avaient donc embarqué dans la même fourgonnette. Certains étaient attachés, d'autres non. C'est le cas par exemple de l'enfant de Mme Auger qui était assis par terre. Après tout, ils n'avaient qu'une petite distance à parcourir avant d'attendre l'autobus, trois kilomètres tout au plus.
Mais voilà, sur la route du Port, la chaussée glissante a fait son oeuvre. La conductrice a perdu le contrôle. Son véhicule a dérapé, s'est retrouvé en travers de la chaussée et a ensuite été heurté par le véhicule de Wayne Kroeker.
Personne n'aurait imaginé pareil drame. Les premières personnes arrivées sur les lieux, qu'ils soient techniciens-ambulanciers, policiers, journalistes ou voisins, ont été incapables de retenir leurs larmes. Même bouleversement au CSSS de Nicolet et à l'Hôpital Saint-Joseph où les médecins, infirmières, intervenants sociaux, psychologues ont été confrontés à la pire tragédie humaine de la région.
Et que dire de l'onde de choc et d'incompréhension créée dans la population, d'un engouement médiatique qui a dépassé les frontières et même frôlé le harcèlement.
Cependant, dans un élan de solidarité rarement vu, une immense vague de sympathie s'est formée autour des familles endeuillées, tout particulièrement de Jeanne Auger qui a reçu un appui massif de la population. Tous ont vanté son amour pour les enfants, ses qualités d'éducatrice et son souci de sécurité. Et rappelé qu'elle y avait elle aussi perdu son enfant...
Une enquête a néanmoins été menée par les policiers et le coroner Raynald Gauthier. Les expertises conduites sur les ceintures de sécurité et les mécanismes d'enroulement ont révélé que seules les ceintures de sécurité des deux sièges avant étaient bouclées, soit ceux de Mme Auger et de l'une des deux petites survivantes. Or, le fait que la majorité des enfants n'étaient pas tous attachés ne constitue pas une négligence criminelle au sens de la loi. Aucune accusation n'a d'ailleurs été portée contre l'éducatrice.
Dans son rapport, le coroner Gauthier a conclu que six enfants sur huit auraient probablement péri, qu'ils aient été attachés correctement ou non compte tenu de la force et de l'axe de la collision.
Cependant, cette tragédie aura permis de mettre en lumière certaines lacunes dans la réglementation sur le transport des enfants et les dispositifs de sécurité. Dans son rapport, le coroner a émis des recommandations s'adressant tant au ministère des Transports qu'au ministère de la Sécurité publique, au CLSC et au ministère de la Famille et de l'enfance.
Dix années se sont écoulées depuis cet accident. Il a donné lieu à une réglementation plus stricte sur les dispositifs de retenue et probablement à une prise de conscience collective bien qu'éphémère sur la fragilité de la vie.
Le temps a fait son oeuvre: la douleur s'est estompée mais les plaies ne seront jamais cicatrisées. Sur la route du Port, rien n'indique que la mort a frappé. Un quelconque monument en mémoire des enfants serait de toute façon inutile et superflu. Personne n'a vraiment oublié Stecy, Kevin, Laurence, Samuel, Frédérike, Viviane, Léane et Karl.