Des propriétaires veulent mener la bataille

Pierre-Michel Tardif, un résident du boulevard Saint-Jean, n'entend pas lâcher prise dans le combat qu'il livre pour protéger la tourbière qui s'étend sur plusieurs lots actuellement visés par des avis de réserve foncière émis par la Ville de Trois-Rivières. La Ville veut en effet mettre la main sur certains de ces terrains pour développer le parc industriel des Carrefours et le secteur de l'aéroport.

Des citoyens du boulevard Saint-Jean, entre l'aéroport de Trois-Rivières et l'autoroute 40, ne digèrent pas le fait que la Ville semble prête à sacrifier des espaces qui présentent un grand intérêt sur le plan écologique pour développer le futur parc industriel des Carrefours. La menace d'expropriation est maintenant réelle pour plusieurs de ces propriétaires, malgré la présence d'une tourbière sur certains des lots visés.


Deux des propriétaires concernés ont récemment fait parvenir une lettre à tous les conseillers municipaux trifluviens pour dénoncer le «manque de respect» dont ils se disent victimes et pour déplorer ce qu'ils considèrent être le saccage annoncé d'une partie importante du patrimoine écologique de la ville.

 



Depuis que la Ville a l'oeil sur une vingtaine de propriétés entre l'autoroute 40 et l'aéroport, les citoyens concernés estiment ne pas avoir été informés adéquatement des intentions réelles de la Ville. Selon Pierre-Michel Tardif, un des propriétaires touchés, aucune assemblée d'information n'a été tenue et aucune correspondance autre que celle pour signifier les avis de réserve n'a été acheminée aux propriétaires des lots.

En octobre 2006, le comité exécutif de la Ville adoptait une résolution par laquelle la Ville imposait des avis de réserve foncière pour fins publiques à 29 propriétaires de terrains donnant sur le boulevard Saint-Jean et ce, sans explication. La Ville souhaitait alors obtenir les terrains nécessaires à l'expansion du parc industriel des Carrefours, au prolongement de la piste de l'aéroport et à l'aménagement d'un bassin d'amerrissage pour hydravions.

Pour six des vingt-neuf propriétaires initialement concernés, les avis de réserve foncière ont été renouvelés en 2008 pour une autre période de deux ans. Depuis cette date, certains autres propriétaires se sont vu signifier un avis de réserve.

Or, le territoire en question a déjà été identifié comme étant un «écoterritoire à préserver» par la firme Dessau. Le milieu présente des forêts matures, des forêts anciennes ainsi qu'une tourbière de 193 hectares. Malgré l'imposition d'avis de réserve - qui a pour effet de bloquer toute modification possible à la configuration des propriétés -, au moins un propriétaire a effectué une coupe à blanc sur un des lots. «Sans permis et sans pénalité», prétendent les propriétaires qui contestent les façons de faire de la Ville.



Ceux-ci se plaignent également de la difficulté qu'ils ont à obtenir certains documents souhaités, même par le biais de la «Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels». «Nous avions demandé les documents, les rapports, les études, les expertises et les recommandations et tout ce qu'on a eu, c'est un échange de courriels et un document qu'on avait déjà», explique M. Tardif.

Une «catastrophe»

Selon ce dernier, l'utilisation de terrains en milieu humide pour développer de nouvelles zones industrielles constituerait une véritable «catastrophe» sur le plan écologique. Études à l'appui, M. Tardif mentionne que ce secteur de la ville est considéré comme le «poumon de la région de Trois-Rivières» notamment à cause de sa situation géographique, de sa capacité de rétention d'eau et de son rôle de corridor de migration de la faune entre la Haute-Mauricie et la vallée du Saint-Laurent.

Selon un rapport de l'agronome Pierre Ferron, de la Coalition Verte de Trois-Rivières, la tourbière jouerait aussi un rôle important dans l'écoulement des eaux et l'alimentation. Elle alimente une rivière et la nappe phréatique du secteur Pointe-du-Lac. Un développement à des fins industrielles nécessiterait un remblayage considérable et entraînerait l'extinction d'espèces animales ou végétales déjà menacées.

«On a l'impression que la Ville veut développer à n'importe quel prix, en sacrifiant des espaces verts. Savez-vous ce qui est le pire dans tout ça? C'est le sentiment d'impuissance. On se bat contre une grosse machine. On fait rire de nous. C'est ça qui devient fâchant à la longue», conclut Pierre-Michel Tardif.

 



«On n'ira pas construire...»

«Ce que la Ville souhaite, c'est d'acquérir un maximum de terrains développables pour créer le nouveau parc industriel et aéroportuaire. Tout ce qui est développable, on pourra le développer. Mais on n'ira pas construire sur une tourbière», affirme le directeur des communications à la Ville de Trois-Rivières, François Roy.

Celui-ci explique d'ailleurs que certains avis de réserve qui ont été levés depuis 2006 l'ont été justement parce que les terrains n'étaient pas développables.

Or, Pierre-Michel Tardif a non seulement vu la Ville renouveler l'avis de réserve foncière qui avait été émis en 2006, mais il a récemment reçu une correspondance de la Ville dans laquelle on l'informe qu'il recevra prochainement la visite d'un évaluateur. Trois-Rivières a en effet mandaté la firme Servitech Services-Conseils pour procéder aux études et analyses requises.

L'objectif de la Ville serait de négocier des ententes de gré à gré pour éviter l'expropriation en tant que telle.

Là où le bât blesse, c'est que le lot de Pierre-Michel Tardif – dont la superficie atteint presque les 100 000 mètres carrés (plus de 1 million de pieds carrés) – a été identifié comme étant une tourbière. Dans un rapport d'inspection du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, produit en mai 2007, un inspecteur mentionne que «selon nos constats, le terrain inspecté est une tourbière» et qu'aucune infraction n'a été constatée sur le terrain.