Auteur de nombreux volumes sur l'histoire du Québec, Jacques Lacoursière a décidé de raconter celle de la cité de Laviolette, hier, dans le cadre de la Semaine des sciences humaines, au Collège Laflèche. L'angle qu'il a choisi est celui des calomnies qui ont circulé sur Trois-Rivières depuis sa fondation.
Citant avec le plus grand sérieux lettres, recueils et récits de toutes sortes, penché sur une pile d'anecdotes plus savoureuses les unes que les autres, l'historien a réussi à faire rigoler son jeune auditoire à plusieurs reprises en racontant comment la Ville était perçue autrefois.
Tout semble avoir commencé en 1642, quelques années après sa fondation, alors que Trois-Rivières était reconnue comme étant l'endroit par excellence où les peuples autochtones pouvaient échanger des peaux contre de l'eau-de-vie. On flirtait alors avec la corruption. La meilleure vendeuse d'alcool était en effet la belle-mère du gouverneur Pierre Boucher. «La haute direction de Trois-Rivières était mêlée au commerce de l'eau-de-vie», dévoile l'historien.
Bien que cette pratique ait officiellement cessé en 1665, dit-il, 18 des 25 maisons de Trois-Rivières donnaient encore à boire en 1684. «Trois-Rivières est une ville où le commerce de l'eau-de-vie est extrêmement important. Nos ancêtres buvaient», résume-t-il sur un ton amusé, ce à quoi un étudiant dans l'auditoire a rétorqué: «Ça boit encore.»
Cette mauvaise réputation avait donc un fondement au point où on levait le nez sur les Trifluviens de la façon parfois la plus inattendue. En 1760, par exemple, une des armées dirigées par James Murray est partie de Québec pour aller marcher sur Montréal, mais ne s'est même pas arrêtée Trois-Rivières. «Suprême insulte», analyse l'historien.
Les Trifluviens aggravent l'image que le reste du Canada entretient à leur sujet lorsqu'en 1775, ils décident de capituler avant même que les insurgés américains, qui s'étaient emparés de Montréal, descendent le fleuve Saint-Laurent pour les attaquer.
Doit-on s'étonner que, «début XIXe siècle, Trois-Rivières va être qualifiée de bourg pourri»?, poursuit le conférencier.
En 1884, alors que Trois-Rivières célèbre sont 250e anniversaire de fondation. Benjamin Sulte, qui travaille au ministère de la Défense à Ottawa, est invité à assister aux fêtes. Il est historien, auteur prolifique, journaliste et légèrement anticlérical à ses heures. Mgr Laflèche refuse de se rendre aux fêtes si Sulte s'y présente. Le conseil municipal tranche. On demande à Sulte de ne pas y aller. Ce dernier fera l'étalage de sa colère dans une lettre adressée à sa soeur, qui est Ursuline: «Les Trifluviens ont commencé à me faire une politesse, mais lâches comme ils l'ont toujours été, ils ont eu peur de mon ennemi. Les Trifluviens sont tels qu'ils ont été il y a 30 ans, ivrognes, joueurs de cartes», écrit-il.
Et voilà repartie de plus belle cette réputation qui colle à la peau de Trois-Rivières comme la teigne...
Quelque temps plus tard, le consul américain Nicolas Smith (car il y avait un consulat américain à Trois-Rivières à cause des nombreuses industries) écrivit un article publié dans la revue de la marine américaine et qui eut écho dans les journaux de Trois-Rivières.
On pouvait y lire, à propos de la ville: «Il n'y a pas de contagion et parmi les symptômes, il n'y a pas de choléra. Cela provient de la saleté des Trifluviens. Plus un homme est malpropre, mieux il se porte», écrit-il, ajoutant qu'une famille moyenne était composée de 7 personnes et d'un cochon, traité comme les autres membres de la famille et que le savon était presque inconnu. Cet article créa un incident diplomatique grave qui fit écho jusqu'au Congrès américain.
À tort ou à raison, «Trois-Rivières a été, peut-être, la Ville la plus calomniée du Québec et même du Canada», résume Jacques Lacoursière. Fort heureusement, précise l'historien, les choses se sont beaucoup améliorées à partir du XXe siècle.